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sans une calotte protectrice de feutre tapissant l’intérieur et dont l’utilité se manifestait eu cas de chute sur la scène. Deux trous imperceptibles donnaient passage au regard, un orifice plus grand à la voix, et de savans artifices de dessin et de modelage combinaient des traits grossis intentionnellement, déformés même, mais à la condition de s’harmoniser avec les points fixes des prunelles et l’ouverture de la bouche pour lesquels s’imposait la coïncidence du vrai et du faux visage[1]. D’abord pâles à l’époque des tragiques primitifs, les masques, sous l’impulsion d’Eschyle, ne tardèrent pas à se colorer ; l’expression en fut d’abord sereine, peu accentuée ; puis, au temps des Alexandrins et à plus forte raison après 1ère chrétienne, elle s’exagéra et dégénéra en grimace tourmentée ; la bouche, modérément ouverte en premier lieu, se déforma en véritable gueule de four, comme en témoigne Lucien.

Tombant d’aplomb sur la tête de l’histrion, comme aujourd’hui les feux de la rampe sur sa face, les rayons du soleil eussent écrasé la physionomie du masque si la haute coiffure triangulaire nommée onchus n’avait rétabli l’harmonie. D’abondans cheveux postiches bouclés ruisselaient de l’onchus, lequel enfin s’abaissait sensiblement dans les masques de femme à chevelure flottante. Cet ornement constitua d’abord un ingénieux correctif inspiré par l’esthétique ; mais, dans la suite des âges, il grossit et s’exagéra comme l’expression du masque et sans doute aussi les couleurs.

On a souvent assimilé la tragédie hellénique à notre grand opéra : les conventions assez illogiques qui gouvernent nos drames musicaux se rapprochent de celles qui réglaient les représentations du vieux théâtre attique. Héros et héroïnes, empêtrés dans leurs accessoires, s’avançaient à pas lents, modulant presque en déclamant leurs tirades ; le peu d’animation de la physionomie des chanteurs actuels, leurs gestes mesurés, correspondent à l’expression immuable du masque tragique, aux attitudes élégantes mais calmes des interprètes anciens, auxquels était interdit tout mouvement un peu vif. Voulaient-ils, emportés par le feu de l’action, sortir de leur rôle de figurans de tableaux vivans, que survenaient les accidens les plus grotesques. « Ont-ils le malheur, ce qui n’est pas rare, — dit le moqueur Lucien,

  1. M. P. Girard dans la Revue des Études grecques ajoute un quatrième point fixe : l’extrémité du nez. Le problème n’en offrait que plus de difficulté.