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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/945

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boudon, de peur que Francesca n’apprenne, par lui, la ruse imaginée pour la contraindre au mariage : car c’est le beau Paolo qu’on va présenter à la jeune fille comme son fiancé, au lieu du sinistre Jean, qu’on craint qu’elle (ne refuse ; et à Rimini seulement, la nuit des noces, elle connaîtra son véritable mari. Arrive ensuite un autre frère de Francesca, le bâtard Bannino. Les deux frères se haïssent à mort ; et aussitôt Ostasio se met à accabler Bannino d’effroyables injures, il se met à le battre, à vouloir le tuer. Il y a là un dialogue, assez long aussi, dont chaque mol exhale une odeur de sang. Et puis enfin le drame s’ouvre. Francesca, l’âme toute pleine de mauvais pressentimens, s’ingénie pourtant à consoler sa petite sœur, Samaritaine. Elle n’a point voulu, jusqu’ici, lever même les yeux sur le fiancé qui va l’emmener. Et elle se promène tendrement au bras de sa sœur, évoquant mille souvenirs de leur vie heureuse, lorsque, tout à coup, apparaît devant elle Paolo, et elle le voit. « Elle reste immobile, appuyée aux arbustes. Ils se tiennent en face l’un de l’autre, se regardant sans parole ni geste. Les dames, à la loggia, se déploient en couronne, et les musiciens donnent le ton sur leurs instrumens. » Alors Francesca se sépare de sa sœur, va lentement jusqu’à un sarcophage où elle a planté un rosier, y cueille une rose vermeille, et, toujours sans rien dire, l’offre à Paolo. Et le rideau tombe, pendant que le chœur des jeunes filles chante la douceur de l’amour, et que s’entend, au loin, l’appel désespéré de Bannino, le bâtard.

Toute la pièce est conçue dans cet esprit, avec cet art patient, ingénieux et profond. Sans cesse les deux thèmes alternent, autour du couple tragique, sollicitant pour lui notre terreur ou notre pitié. Au troisième acte, la scène de la lecture est précédée d’un délicieux intermède, — danses, chansons, évocation de légendes amoureuses, rideaux s’entr’ouvrant sur la mer et les montagnes bleues, — tout destiné à créer devant nous une atmosphère de tendresse sensuelle où, un instant après, nous admettrons, nous excuserons, nous approuverons que les deux amans se donnent leur premier baiser. Le quatrième acte, au contraire, appartient tout entier au motif de la haine. Nous y entendons d’abord les hurlemens éperdus d’un vieux gibelin que les Malatesta tiennent prisonnier dans leur château ; puis le plus jeune frère de Paolo, le borgne Malatestino, s’en va couper la tête du prisonnier, et rapporte sur la scène, où nous la voyons saigner, dans un drap rouge, jusqu’à la fin de l’acte. Et nous voyons s’étaler sous nos yeux, plus sinistres encore que cette tête coupée, les haines fratricides, les trahisons, la gloutonnerie féroce de Giovanni, les lâches et