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sans compter ceux qui sont toujours partisans du gouvernement, quel qu’il soit d’ailleurs, un nombre assez considérable de républicains qu’on a réussi à effrayer au sujet des dangers que la République a courus et qu’elle court encore. M. Henri Brisson, dans la proclamation qu’il a adressée aux électeurs du Xe arrondissement de Paris, a énuméré avec un effroi rétrospectif toutes les tentatives inconstitutionnelles et insurrectionnelles faites il y a trois ans, depuis celles de M. Déroulède à la place de la caserne de Reuilly et de M. Guérin au fort Chabrol, jusqu’aux désordres du champ de courses d’Auteuil. Tout cela paraît déjà un peu vieux. Beaucoup de républicains en ont été indignés, mais n’en sont pas restés inquiets au même point que M. Brisson. Toutefois, M. Brisson représente un état d’âme assez commun, et dont il faut d’autant plus tenir compte qu’on l’entretient avec adresse. Il y a des gens qui ont eu peur, et la peur ne pardonne pas. On en rencontre beaucoup en province qui n’ont connu les choses qu’avec le grossissement naturel aux récits de journaux, et qui ne sont pas encore remis de la chaude alarme qu’ils ont éprouvée. Au moment où ils se sont produits, les événemens ne paraissaient pas si terribles ; mais, depuis, on en a créé la légende, et rien n’est plus indestructible qu’une légende propagée quotidiennement par les milliers de voix de la presse. Il est donc convenu que le ministère actuel a sauvé la République et qu’il la sauverait encore au besoin. C’est dans cette affirmation, qu’il a si souvent répétée lui-même, qu’est sa principale force. Voilà le résultat auquel ont abouti les auteurs des tentatives, aussi puériles que ridicules, d’il y a trois ans. Ils ont fourni un prétexte pour organiser un gouvernement de combat et pour embrigader à sa suite, avec les partis de révolution et de violence, un nombre considérable de républicains plus tranquilles, mais timorés.

En face de l’armée ministérielle, l’armée antiministérielle n’est pas composée d’élémens moins composites. D’abord il est assez naturel de répondre à une coalition par une autre ; et au surplus il faut reconnaître que, si les coalitions sont quelquefois légitimes, c’est surtout dans l’opposition. L’action du gouvernement doit être une ; celle de l’opposition peut être diverse et partir de plusieurs points pour converger vers le même but. Comment empêcher les mécontens, quels qu’en soient le nombre et le caractère, de travailler à la même œuvre, sans même avoir besoin de s’entendre, de combiner leurs mouvemens et de discipliner leurs forces ? Un mouvement tout spontané se produit parmi eux, et ils s’aperçoivent qu’ils agissent en commun avant même de s’être proposé de le faire. Lorsqu’ils s’en aperçoivent,