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ou pour trouver un moyen nouveau de concilier les ambitions individuelles avec les principes. Toutefois il est possible que, dans les Cabinets futurs, nous n’ayons pas à déplorer la présence d’un collectiviste : qu’importe, si le parti impose du dehors son influence au Cabinet, comme il a bien l’intention de faire ? En décidant qu’un des leurs cessera de faire partie du gouvernement, les collectivistes entendent se fortifier au lieu de s’affaiblir, et, s’ils renoncent à une part matérielle du pouvoir, c’est afin d’en accaparer une part morale plus considérable. Ils savent aussi bien que nous que le mal accompli sera long et difficile à réparer. Le fait seul que M. Millerand a été ministre classe leur parti parmi ceux qui ont une sorte de droit sur le gouvernement, et cet avantage leur suffit pour le moment. M. Jules Ferry a provoqué autrefois une certaine émotion en parlant des radicaux de gouvernement ; on a fait du chemin et nous avons aujourd’hui des collectivistes de gouvernement. C’est là un fait très inquiétant. M. Barthou cherche à en atténuer les conséquences en disant que M. Millerand n’a pas fait, en somme, tout le mal qu’il aurait pu faire, et qu’il a été obligé de se conformer lui-même sur certains points à la politique générale du ministère dont il était membre. C’est ainsi qu’il a voté le budget des Cultes et le crédit afférent à notre ambassade auprès du Saint-Siège. Mais il faudrait mettre, en regard de ces concessions que M. Millerand a faites à ses collègues, celles que ses collègues lui ont faites à lui-même, et qui ont eu un caractère encore plus pratique. Quand même il n’aurait pas été ministre, les votes auxquels il s’est associé auraient eu lieu ; ils auraient seulement réuni une voix de moins ; tandis que, s’il ne l’avait pas été, beaucoup de choses mauvaises n’auraient pas été faites et ne continueraient pas de peser sur nous. Les collectivistes soutiennent, et ils continueront de répéter, qu’on a eu besoin d’eux pour sauver la République, qu’on n’aurait pas pu le faire sans leur concours, et que dès lors on leur doit infiniment. S’ils ne se font pas payer en portefeuilles, ils le feront en influence, et ils combattront avec, une énergie et une puissance croissantes pour la réalisation des réformes qui leur sont chères, ou de ce qu’ils appellent de ce nom. C’est contre eux surtout que sera la lutte de demain.

Dans l’ignorance où nous sommes de ce que seront les élections du 27 avril et ; du 11 mai, il y aurait quelque chose d’un peu présomptueux-à parler du gouvernement qui les suivra. Il sera ce qu’il pourra, d’après les possibilités qu’auront créées les élections elles-mêmes, car on ne sauve un pays que lorsqu’il y a consenti d’avance et qu’il en a