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sible[1], en l’état des choses, de vous envoyer aucun secours ; mais Sa Majesté s’attend que cette place fera une longue défense et que, s’il est praticable de la secourir avec quelque apparence de succès, vous ne manquerez pas de le faire. D’ailleurs, n’y ayant personne parmi les ennemis qui puisse se souvenir d’avoir vu un siège, il y a apparence qu’ils seront fort embarrassés quand ils viendront à approcher la place de près, et le fâcheux temps qu’il fait présentement les pourra bien faire repentir de leur entreprise… En tous cas, conclut-il avec une philosophie singulière, quand Naerden serait pris, ce n’est pas la première fois qu’on a perdu une place, et Sa Majesté s’attend que vous conserverez les autres d’autant plus aisément. » Le Roi, lit-on à la même date dans les Lettres de Pellisson, « a parlé comme étant fort aise si l’entreprise des ennemis vient à échouer, et facilement consolé si elle réussit. »

Luxembourg, pour sa part, prenait moins gaiement son parti. Le lendemain du blocus, il galopa, suivi d’un millier de chevaux, jusqu’à portée des lignes hollandaises, et fit pousser leurs gardes avancées, culbutant quelques escadrons, après un « combat fort joli. » Il put contempler de ses yeux « un camp très rempli de troupes, » des retranchemens bien entendus et « furieusement solides, » trois hautes redoutes garnies de quarante grosses pièces de canon, un investissement combiné selon toutes les règles de l’art. Il remarqua surtout, au cours de l’escarmouche, l’inhabituelle vigueur de la cavalerie de Guillaume : « Ces coquins, écrit-il[2], y ont fort bien fait, et ont combattu mieux qu’il n’appartient à des Hollandais… Les deux troupes se sont réciproquement pénétrées et mêlées, et M. de Gassion dit que ce combat avait l’air de ceux qu’on voit dans les tapisseries. » À peine de retour à Utrecht, il fit assembler le Conseil, et l’on délibéra sur la situation. Fallait-il tenter l’aventure, se porter en avant avec un corps de cavalerie, hasarder le combat contre un ennemi supérieur des deux tiers, retranché fortement, abordable seulement par une plaine découverte, — landes de bruyère ou terre de tourbe, — où les chevaux avaient peine à marcher ? Était-il une chance de forcer, a avec moins de quatre mille chevaux, dont beaucoup n’avaient rejoint que la veille, » dix mille hommes de cavalerie fraîche, soutenus par vingt mille fantassins ?

  1. 13 septembre 1673. — Archives de la Guerre, t. 316.
  2. Lettre à Condé, du 12 septembre 1673. — Archives de Chantilly.