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en Gueldre ; mais je crois votre épée un peu trop courte pour y songer, et je compte que vous ferez déjà beaucoup de sortir de cette affaire vos braies nettes[1]. »

Il fallut donc se résigner à laisser à Guillaume d’Orange l’honneur d’avoir, dans la partie en jeu, gagné la seconde manche, et pris une revanche de Woerden. La portée de cet événement, dans l’état des affaires, dépassait d’ailleurs de beaucoup celle d’une simple blessure d’orgueil, l’humiliation d’un échec passager. C’était, depuis le début de la guerre, la première fois que la Hollande avait pu rendre coup pour coup, infliger un sérieux affront aux armes de la France. Le retentissement fut immense dans les Provinces-Unies ; d’enthousiastes clameurs s’élevèrent d’un bout à l’autre de la République. « La prise de Naerden, écrivait l’intendant Talon à Condé, a fort surexcité les Hollandais ; et les recrues partent de tous côtés grossir l’armée du prince d’Orange[2]. » Le prestige, jusqu’alors intact, du corps d’occupation en reçut une profonde atteinte. On put prévoir dès ce moment la grave résolution qui, moins d’un mois après, allait éclater au grand jour.


IV

Les derniers jours d’octobre 1673, le duc de Luxembourg, de retour à Utrecht où il se morfondait d’ennui, reçut un court billet de la main de Louvois, expédié par courrier spécial, avec des allures de mystère : « Je vous écrit ce mot, lui disait le ministre, pour vous donner part de la résolution que le Roi a prise d’abandonner tout le plus tôt qu’il se pourra toutes les places conquises, à la réserve de Wesel, Rheinberg, Nimègue, etc. Je vous dirai seulement ici que, pendant que le prince d’Orange s’amuse à crotter ses bottes en Flandre, vous pouvez abandonner Crèvecœur et Woerden, bouleversant autant que vous le pourrez les fortifications de ces places, et faisant piller Woerden, s’il ne se rachète d’une somme d’argent considérable, et mettre le feu et détruire complètement toutes les habitations de Crèvecœur. «  Cette résolution grave datait de quelques heures à peine ; la veille seulement le Roi l’avait soumise à son Conseil. Mais, pour

  1. Novembre 1673. — Archives de Chantilly.
  2. Septembre 1673. — Archives de Chantilly.