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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/162

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sa marche diligente, remontait le cours de la Meuse, et ralliait en chemin les petites garnisons des postes de l’Yssel. Une circonstance heureuse favorisait son mouvement de retraite, semblait écarter de sa route les obstacles et les périls. Les généraux de la coalition, après la prise de Bonn, n’avaient pu s’accorder sur le plan de campagne. Le prince d’Orange, toujours ardent, voulait poursuivre l’avantage ; le comte de Monterey[1], commandant les troupes espagnoles, suivait aveuglément tous les avis du stathouder ; mais Montecuccoli, le chef de larmée impériale, prudent et temporisateur, s’opposait opiniâtrement à toute entreprise hasardée. Le débat entre ces trois hommes s’éternisait depuis bientôt quinze jours, quand il prit fin par un coup de théâtre. « Un courrier parti de Cologne, écrit le 3 décembre Louvois à Luxembourg[2], m’apporte la nouvelle que M. de Montecuccoli, ne pouvant plus souffrir les impertinentes propositions du prince d’Orange et des Espagnols, a pris la résolution de s’en retourner à Vienne, et il est parti sans donner ordre à quoi que ce soit, si ce n’est qu’il a mandé à M. de Bournonville de repasser le Rhin pour se mettre en quartiers d’hiver. Les ministres d’Espagne sont désolés de ce contre-temps et disent publiquement que Montecuccoli les trahit, et le prince d’Orange s’en retourne en Hollande. » Louis XIV, dans le fragment dont j’ai donné quelques extraits, confirme ces dissentimens et en tire la moralité : « Cela fait voir, dit-il sentencieusement[3], que l’union est bien difficile à des gens qui ont des intérêts séparés, quoiqu’ils paraissent n’avoir que le même à soutenir. L’autorité, partagée, n’est jamais si forte que lorsqu’elle est réunie dans une seule personne. C’est un avantage que j’ai eu contre mes ennemis pendant toute cette guerre, et qui a fort contribué aux grands succès qui me sont arrivés. »

On sut effectivement bientôt que Guillaume était à La Haye, tandis que Monterey se réinstallait à Bruxelles ; et Luxembourg, délivré d’inquiétude, arrivait sans encombre au camp sous Maëstricht, où il laissait se reposer l’armée, en attendant les instructions du Roi. Rien désormais ne paraissait plus s’opposer

  1. Gouverneur des Pays-Bas espagnols de 1669 à 1675. Il entra dans les ordres peu avant sa mort, en 1712. C’était le second fils de don Luis de Haro.
  2. Archives de la Guerre, t. 317.
  3. Fragment de mémoire sur la campagne de 1674. — Œuvres de Louis XIV, t. III, p. 454.