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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/184

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elle comprenait, après l’arrivée de notre caravane, soixante-neuf ascaris soudanais du Protectorat de l’Ouganda, treize Souakelis, dont huit à la solde de l’Ouganda Railway, deux que j’avais amenés, trois qu’y avait laissés un marchand ; à ceux-là s’ajoutaient quatorze Nubiens, de ces fameux Nubiens d’Emin-Pacha qui venaient de terminer cinq ans de prison. Ils n’étaient pas armés ; le gouvernement les avait dispersés dans les différens postes, pour que ces « mutinés » fissent souche d’honnêtes gens. Le fort contenait encore onze hommes de police, également sans armes, qui constituent un corps spécial.. L’armement comprenait quatre-vingts fusils, sans compter ceux des Européens, et en plus deux mitrailleuses Maxim, que le mauvais état d’entretien empêchait de fonctionner, mais pour lesquelles néanmoins on avait prévu une cinquantaine de porteurs en cas de sortie.

L’Angleterre ne manque pas d’hommes, quoi qu’on en dise. Le recrutement des Soudanais est loin d’être épuisé, non plus que celui des Indiens. J’ai entendu dire à beaucoup d’officiers anglais que c’était bien du luxe d’envoyer contre les Boers des soldats européens ; que les Cafres et les Hindous eussent aussi bien fait : ils taxaient de préjugé le sentiment que les Anglais n’avaient pas le droit de faire tuer les Boers par des nègres. C’est que nos voisins n’ont pas le même concept de la guerre que nous. Bonaparte fit périr à Saint-Domingue vingt mille soldats d’Egypte et d’Italie avec des généraux tels que Richepanse et Leclerc. Pour les Anglais et pour les Allemands, employer des blancs comme soldats aux colonies est, toute sentimentalité à part, une faute industrielle, comme d’employer un métal précieux pour faire des charrues. Aussi n’y a-t-il pas un seul soldat de race blanche entre Le Caire et Pretoria.

Le gouvernement anglais fait des économies, même sur le nombre des soldats noirs : c’est un habile emploi des forces militaires que de garder un pays comme l’Ouganda, de dix degrés carrés, avec onze compagnies de noirs ou d’Indiens ne comprenant pas cent hommes par compagnie. Aussi chaque Européen, Arabe, ou Indien, a-t-il ses soldats, comme au moyen âge où le seigneur ne se promenait pas sans ses hommes d’armes. Le chemin de fer a ses ascaris dans les gares ou dans ses chantiers. Les marchands en ont dans leurs magasins et en envoient avec toutes les caravanes. Le protectorat anglais a tout avantage à cet état de choses, puisque tous ces soldats, qu’on pourrait appeler accessoires, lui