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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/185

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rapportent un droit de cinq roupies par tête et ne lui coûtent rien.

L’Afrique centrale ne comprend pas de peuples, il n’y a que des tribus ; aussi, toute rébellion est-elle localisée. Point n’est besoin d’avoir beaucoup de soldats, à la condition de les déplacer rapidement. c’est ce qu’ont parfaitement compris les Anglais, en dépensant énormément pour le chemin de fer et fort peu pour l’armée d’occupation. J’en ai eu un exemple au fort Ternan : sur huit ou neuf compagnies stationnées sur le haut Nil, le colonel commandant en chef vint à notre secours avec trois compagnies, le plus qu’il pût distraire pour une longue absence. Le steamboat de lord Salisbury eût circulé sur le lac, l’Ouganda Railway eût poussé ses rails jusqu’à Port Alice, que le colonel serait venu avec un plus grand nombre d’hommes, et nous eût délivrés au lieu de nous laisser mourir de faim.

Les 107 soldats du fort suffisaient à peine au service de garde : une attaque était peu à craindre le jour. Pour assurer la surveillance de nuit, le lieutenant W... avait fait construire deux plates-formes et y avait placé deux sentinelles ; deux autres étaient juchées sur les toits des maisons ; enfin sept autres étaient placées derrière la haie, d’où elles ne. voyaient rien. Pour les empêcher de s’endormir, le commandant du fort leur avait donné la consigne de s’appeler de l’une à l’autre, par leurs numéros. Ces pauvres gens ne connaissaient pas l’anglais, et c’était peine, dans la nuit, que de les entendre prononcer ces mots peu sonores, si peu conforme au génie de leur langue. Le bruit de voix eût couvert toute marche dans les herbes ; le passage incessant des rondes aurait tenu suffisamment les hommes éveillés. La relève de ce lourd service de garde fatiguait les hommes, au point qu’aucun presque n’était disponible pour les expéditions de jour.

Il n’y a rien d’aussi monotone qu’un journal de siège, surtout quand on est bloqué, sans combattre.

En arrivant au fort, le 12, M. C... et moi fûmes prévenus d’avoir à demeurer jusqu’à l’arrivée de secours. Comme commandant du fort, le lieutenant W... nous réquisitionnait avec nos soldats et nos porteurs ; comme commandant du territoire, il nous interdisait de circuler dans le pays. Pour dorer la pilule, il faisait miroiter à nos yeux l’arrivée du colonel commandant les compagnies indiennes qui devaient nous délivrer dans trois jours