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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/205

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d’être examinées avec quelque attention. C’est dans cet examen que nous allons entraîner notre lecteur.


I

Le sens le plus général des transformations subies par ces doctrines s’exprimerait en disant qu’elles ont cessé d’exercer leur tyrannie sur la recherche scientifique. Elles ont passé du laboratoire au cabinet de méditation : de physiologiques, elles sont devenues philosophiques.

Ce résultat est l’œuvre des physiologistes d’il y a soixante ans. Il est aussi la conséquence de la marche générale de la science et du progrès de l’esprit scientifique qui montre une tendance de plus en plus marquée à séparer complètement le domaine des faits de celui des hypothèses.

On peut dire que, dans les commencemens du XIXe siècle, malgré les efforts d’un petit nombre d’expérimentateurs véritables, échelonnés depuis Harvey jusqu’à Spallanzani, Hales, Laplace, Lavoisier et Magendie, la science des phénomènes de la vie n’avait pas suivi le progrès des autres sciences de la nature. Elle était restée embrumée de scolastique. Les hypothèses s’y mêlaient aux faits et les agens imaginaires à l’exécution des actes réels, dans une confusion inexprimable. L’âme [animisme), la force vitale (vitalisme) et la cause finale (finalisme, téléologie) servaient d’explication à tout.

A la vérité, c’était aussi le temps où, dans les sciences de la nature inanimée, les agens physiques, les fluides électriques et magnétiques, ou encore l’affinité chimique jouaient un rôle analogue. Mais, il y avait tout au moins cette différence à l’avantage des physiciens et des chimistes, que, lorsqu’ils avaient attribué quelque propriété ou aptitude nouvelle à leurs agens hypothétiques, ils respectaient cette attribution. Les médecins physiologistes, eux, ne respectaient aucune règle ; ils n’avaient aucun frein. Leur force vitale était capricieuse : elle était douée d’une spontanéité qui déroutait les prévisions. Elle agissait arbitrairement dans le corps à l’état sain : elle agissait plus arbitrairement encore dans le corps malade ; et il fallait toute la subtilité du génie médical pour deviner l’allure fantasque du génie morbide. Si nous ne parlons ici que des physiologistes et des médecins, sans citer les naturalistes, c’est que ceux-ci n’entraient pas encore