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de plomb dans le cerveau : la vie s’échappe ; il ne reste plus qu’un cadavre. Un instant a suffi pour détruire le prestige. — C’est bien de cette manière que tous les hommes se représentent la scène de la mort : un souffle qui s’échappe ; quelque chose qui s’envole, ou qui s’écoule avec le sang. Le génie heureux des Grecs en avait fourni une image gracieuse : ils se représentaient la vie ou l’âme sous la forme d’un papillon (Psyché) fuyant le corps comme une sorte de léger phalène qui ouvre ses ailes de saphir.

Mais cet hôte subtil et temporaire de la statue humaine, cet étranger de passage qui fait du corps vivant une maison habitée, quel est-il décidément ? Selon les animistes, c’est l’âme même, au sens où l’entendent les philosophes ; l’âme immortelle et raisonnable. Pour les vitalistes, c’est un personnage différent et inférieur, une sorte d’âme de seconde majesté, la force vitale, ou, d’un simple mot, la vie.


IV

L’animisme est la plus ancienne et la plus primitive des conceptions qui se soient présentées à l’esprit humain. Mais, en tant que doctrine coordonnée, elle est la plus récente. Elle n’a reçu, en effet, son expression définitive qu’au XVIIIe siècle, du médecin philosophe et chimiste Stahl.

L’une des premières curiosités de l’homme primitif, du sauvage, c’est, d’après Tylor, la différence du corps vivant d’avec le cadavre : celui-ci est une maison habitée ; celui-là est la maison vide. Pour ces intelligences rudimentaires, l’habitant mystérieux est une sorte de double ou duplicata de la forme humaine. Il ne se révèle que par l’ombre qui suit le corps éclairé par le soleil, par l’image qui se reflète dans l’eau, par l’écho qui répète la voix ; il ne se voit qu’en songe, et les figures qui peuplent et animent les rêves ne sont autre chose que ces êtres dédoublés, impalpables. Certains sauvages pensent qu’au moment de la mort le double, ou l’âme, va se loger dans un autre corps. Quelquefois chaque personne, au lieu d’une seule de ces âmes, en possède plusieurs. D’après Maspéro, les Egyptiens en auraient compté au moins cinq, dont la principale, le ka ou double, serait la répétition aériforme ou vaporeuse de la forme vivante. Ces âmes en voyage, qui abandonnent les corps pour en occuper d’autres.