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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/244

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ne peut pas se disculper, c’est d’avoir décidé la grève générale, en transformant, comme l’a dit M. Beernaert, une arme de résistance économique en un instrument de domination politique. Que la grève soit légitime en soi, tout le monde en est d’avis. En Belgique comme chez nous, la loi autorise les ouvriers à y recourir : mais c’est en fausser le caractère que d’en user pour influer sur le dénouement des conflits politiques. Qu’est-ce donc que la grève ? C’est le fait, de la part des ouvriers, de refuser leur travail s’il n’est pas suffisamment rémunéré : elle est cela, elle ne doit pas être autre chose. En dehors de la discussion du contrat de louage d’ouvrage, elle n’a pas de raison d’être, elle ne peut pas avoir d’application justifiée. M. Paul Janson, avec une éloquence fougueuse, a revendiqué au profit des ouvriers le droit de se mettre en grève pour quelque cause que ce soit : il y a là une confusion ou une erreur.

La grève est un phénomène économique : transportée dans la politique, elle devient un acte révolutionnaire, et il est impossible de la qualifier autrement. Nous n’en sommes pas encore là en France. On y a vu les ouvriers menacer de se mettre en grève si le parlement ne votait pas telles ou telles lois déterminées ; mais d’abord ils ne l’ont pas fait, et ensuite il s’agissait de lois qui intéressaient directement l’amélioration de leur sort. Cela était déjà très grave, moins pourtant que ce qui s’est passé ces jours derniers en Belgique, où le parti socialiste a proclamé la grève générale pour intimider le parlement et lui arracher une réforme exclusivement politique. Quel aurait été le résultat de cette tactique si elle s’était prolongée ? La grève générale ne pouvait pas durer bien longtemps ; les ouvriers belges manquaient de ressources pour la soutenir au delà de quelques jours, et les secours que leurs camarades étrangers ont promis de leur envoyer ne s’élevaient qu’à un chiffre dérisoire. L’expérience, en se poursuivant, aurait rapidement abouti à une constatation d’impuissance, et il en sera sans doute ainsi toutes les fois qu’on voudra la renouveler. Nous ne croyons pas au succès de la grève générale ; mais, en la proclamant, on rendait environ 300 000 ouvriers disponibles pour l’émeute et pour la révolution. Qu’on le voulût ou non, voilà ce qu’on faisait. Tous ces ouvriers errant désœuvrés dans la rue, attendant des nouvelles et s’exaltant de plus en plus, constituaient un danger redoutable pour l’ordre public. Si le parti socialiste ne s’en est pas rendu compte, il a eu tort ; s’il l’a fait, il a perdu le droit de dire qu’il ne s’est proposé d’agir que par les voies légales, et qu’il n’a de responsabilité, ni directement dans l’émeute, ni indirectement dans la répression qui en a