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été faite. On aurait voulu entendre les libéraux caractériser le fait comme il le méritait.

Il est d’ailleurs difficile de savoir exactement la vérité sur les intentions du parti socialiste ; peut-être n’a-t-il pas compris à quelles conséquences il s’exposait ; mais il fera bien d’être plus prudent à l’avenir, et les libéraux feront encore mieux d’y regarder à deux fois avant de lier partie avec des gens qui emploient des moyens d’action aussi dangereux. Il y a eu du sang répandu à Bruxelles, il y en a eu quelques jours après à Louvain : à qui la faute, sinon à ceux qui avaient surexcité les imaginations, chauffé les esprits à blanc, et jeté par milliers les ouvriers dans les rues ? L’affaire de Louvain a été particulièrement lamentable. Elle a eu lieu aussitôt après le vote de la Chambre, dans l’effervescence de la première émotion. Personne, ni d’un côté ni de l’autre, n’en avait prévu la brutalité, et la preuve en est que tout le monde s’est arrêté comme pris de stupeur devant le sang versé. Les obsèques des victimes se sont faites dans un silence atterré. Pas une manifestation, pas un cri. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent d’ordinaire ; mais évidemment l’acte accompli dépassait de beaucoup ce que comportait l’exaltation des esprits. On a pu voir que cette exaltation était en partie artificielle. Malheureusement il est difficile, quelquefois même impossible de mesurer la portée des coups qu’on se porte lorsque l’émeute gronde en face d’une troupe armée : encore faut-il remarquer que le gouvernement belge n’a pas voulu faire intervenir l’armée régulière, et qu’il n’a eu recours qu’aux gardes civiques, c’est-à-dire à une sorte de garde nationale. Subitement les fusils sont partis, des cadavres sont tombés, une immense clameur s’est élevée, les cœurs se sont serrés dans une épouvantable angoisse. Personne n’avait rien voulu de tout cela. La leçon était cruelle : du moins elle a servi. Les comités socialistes, sentant bien d’ailleurs qu’ils ne pouvaient pas la soutenir, ont mis fin à la grève. L’ordre s’est rétabli aussi rapidement qu’il avait été troublé. « Quand le peuple est en mouvement, dit La Bruyère, on ne comprend pas par où le calme peut revenir ; et quand il est paisible, on ne voit pas par où le calme peut en sortir. » Ce qui prouve qu’il ne faut pas trop se fier aux apparences. En ce moment même on peut se demander si tout est bien fini en Belgique, ou s’il n’y a pas à craindre quelque retour offensif d’un mouvement qui s’est d’abord déchaîné avec tant de violence pour s’arrêter ensuite avec tant de soudaineté.

Attendons les élections prochaines. Quoique partielles, elles donneront une indication significative. On pourra se rendre compte des