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de rentes, il donna l’ordre de vendre toutes celles qu’il possédait. Il entrait dans une question comme un rayon de lumière dans un paysage, l’illuminant jusque dans ses plus profonds replis ; quand il l’avait explorée, aucun aspect ne lui avait échappé, tous lui étaient présens à la fois, et il les exposait en une langue qui ne se laissait pas même admirer tant elle s’identifiait avec les faits qu’il montrait dans leur vivante réalité. Sa lucidité précise, forte de logique, n’avait pas cependant de sécheresse, car elle était assaisonnée de finesse et rendue séduisante par l’agrément d’une diction naturelle toute de source. Les hommes n’étaient pas plus fermés à son observation que les affaires ; il démêlait leur caractère véritable, sans se laisser surprendre aux apparences brillantes, ni détourner par la modestie des qualités silencieuses. Et comme il en est peu en qui l’on ne découvre quelque côté estimable, il se montrait également doux et bienveillant envers les personnages les plus dissemblables : aussi, partout où il passa, il inspira de vives sympathies.

Dans la vie publique, trop de clairvoyance souvent paralyse : voir les choses telles qu’elles sont, sans illusion et sans entraînement, rend bien difficile de se passionner pour aucune d’elles : on les explore, on les discute, on les juge, on les supporte, on ne s’y livre pas ; une sagesse philosophique aussi placide que celle de Vuitry dispose peu à l’action : il en était encore éloigné par son caractère, auquel manquaient les muscles endurcis. Les lourdes responsabilités lui déplaisaient, bien qu’il ne les refusât pas quand on les lui imposait ; la lutte ne l’attirait pas et il eût mieux aimé être un de ces sénateurs des anciennes républiques, rendant de leur chaise curule des décisions reçues comme des oracles, que le champion oratoire d’un gouvernement devant une Chambre. Tout cela se lisait dans son beau visage, éclairé d’intelligence, grave, réfléchi, sur lequel la bonté était, du moins en public, tempérée par une réserve presque timide. Il fut certainement heureux d’être président du Conseil d’État. Je doute qu’il l’ait été autant de devenir ministre.

L’Empereur et l’Impératrice, après avoir été à Nice rendre une visite de politesse à l’Empereur et à l’Impératrice de Russie, venus là pour la santé de leur fils, s’étaient établis à Compiègne, Parmi les invités fut le prince Napoléon. L’Empereur, incapable d’un long ressentiment, l’avait admis en grâce. Il ne se contenta pas d’amnistier son passé ; il voulut lui rendre une situation influente :