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une nation qui a la langue si déliée ! — Tant que nous avons eu nos Vénéties intérieures, il a bien fallu les emporter d’assaut ; mais depuis 1848 et le suffrage universel, il n’y a plus de quadrilatère à enfoncer. Le progrès paisible est seul de saison ; les zouaves civils n’ont plus de place qu’aux Invalides ; la parole ne peut plus être qu’aux organisateurs. Et organisation c’est patience et prudence. Comme le dit notre ennemi De Maistre, que je préfère à beaucoup de nos amis : Rien de ce qui se fait bien ne se fait vite. Heureusement que je vous raconte à l’oreille toutes ces belles vérités, dont le seul tort est d’être depuis longtemps des lieux communs pour les esprits sensés ! Si on m’entendait, c’est pour le coup que je serais traité de vendu ! « Je les défie, me disait Lamennais dans ses dernières années, d’avoir jamais de la raison. Vous le savez, Dante parlait ainsi des Florentins. » (12 novembre 1864.)


III

Je ne savais plus rien de Morny depuis mon départ. Ma première visite à mon retour à Paris (27 janvier 1865) fut pour lui. Il me reçut avec un mouvement visible de joie et aborda immédiatement la politique. Il me dit en substance : « qu’il était de plus en plus convaincu que les choses ne pouvaient plus continuer ainsi. L’Empereur était décidé à ne pas reculer, mais il n’était pas possible de rester davantage dans la situation indécise où l’on était ; on pourrait encore traîner cette session, puis ce serait tout ; il faudra qu’on avance. Il est temps de donner la liberté pour qu’on ne nous l’arrache pas. J’ai proposé à l’Empereur de remplacer l’Adresse par le droit d’interpellation et d’envoyer les ministres à la Chambre ; je ne sais ce qu’il fera. Quand je le presse d’accorder la liberté, il me répond que partout où il va, même dans le faubourg Saint-Antoine, il est très bien reçu et qu’on ne lui demande rien. Quant à moi, je me suis mis d’accord avec Rouher ; consentirez-vous à vous joindre à nous ? — Cela dépend à quelles conditions. — Avec une loi sur la presse et un programme libéral. — Dans ce cas, je réponds sans hésiter : oui, si cela est nécessaire. Mais permettez-moi d’ajouter avec plus de conviction ce que je vous ai déjà dit : votre intérêt n’est pas de me le demander, maintenant que vous vous êtes assuré un concours