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le douloureux spectacle d’une nation qui s’impatiente, puis qui s’irrite en présence d’un gouvernement qui reste inerte, puis qui s’obstine ; si de nouveau nous devons opter entre la force qui comprime et la force qui renverse ; si ces mauvais jours doivent revenir où les amis de la justice, ne trouvant plus de place tenable entre les extrêmes, sont obligés de se retirer de la lutte ou de s’abandonner à un courant dont ils ne sont plus les maîtres ; si nous devons voir encore notre pays passer de la fatigue des mouvemens trop lents à la rapidité trompeuse des mouvemens déréglés ; si nous devons encore être ballottés du trop au trop peu, de l’action à la réaction, du désordre à l’arbitraire ; si cette déception nous est réservée, mon âme en sera déchirée. Mais, même alors, je ne regretterai pas la tentative que je poursuis avec obstination depuis 1860 ; je ne regretterai pas, — dussé-je pendant un temps être considéré par les uns comme un politique naïf, par les autres comme un ambitieux vulgaire, — je ne regretterai pas d’avoir employé toutes les forces de ma volonté à provoquer la conclusion paisible d’une alliance durable entre la démocratie et la liberté par la main d’un pouvoir fort et national. (Très bien ! très bien ! Applaudissement. La séance est suspendue pendant dix minutes.) »


VIII

Thiers m’aborda et me dit : « Vous venez de rendre un grand service à votre pays. Qui sait ? Vous les entraînerez peut-être ; alors je serai avec vous. » La Gauche ne m’interrompit pas un instant et m’écouta religieusement ; Jules Favre exprima tout haut des sentimens obligeans pour l’orateur, si ce n’est pour sa doctrine. A la réception des Tuileries, l’Empereur dit à Talhouet qui lui parlait d’autre chose : « Vous venez d’entendre un beau discours, celui de M. Ollivier. » Il fut encore plus laudatif avec Darimon. « Comment s’expliquer, écrivit Emile de Girardin, l’intérêt qui s’attachait à ce discours, l’impatience avec laquelle ce discours était attendu, l’attention avec laquelle ce discours a été écouté sur tous les bancs du Corps législatif, et l’impression prolongée qu’il a produite ? Si le talent de l’orateur suffisait pour l’expliquer, comment s’expliquerait-on que le même intérêt et la même impatience ne s’attachent pas aux discours que doivent prononcer