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démontrèrent que ces rigueurs constituaient la violation d’une loi. Mon intervention, dans ce sens, peut-être parce qu’elle fut plus passionnée que celle de mes confrères, peut-être parce que l’Impératrice l’encourageait par un assentiment visible, exaspéra Haussmann, et il en vint à des grossièretés, que je dus réprimer. La conduite de Mgr Darboy fut aussi étrange : il s’était d’abord prononcé contre l’emprisonnement cellulaire ; tout à coup il se retourna en sa faveur, par cette raison pharisaïque, que, lorsqu’une loi a été violée pendant quatorze ans, il est grave de le reconnaître, car c’est implicitement blâmer ceux qui l’ont violée : pas le moindre sentiment de commisération sur les malheureux enfans, objet de notre délibération. Je n’emportais pas un souvenir sympathique de cette première rencontre avec l’éminent prélat dont j’admirais la puissante et haute intelligence. — Au vote nous fûmes six contre six et nous ne l’emportâmes que grâce à la voix prépondérante de l’Impératrice. On voulut me nommer rapporteur ; je déclinai cet honneur et le fis attribuer à Mathieu, qui en grillait d’envie[1].

À la fin de la séance, l’Impératrice, à laquelle j’avais prêté un traité de Droit pénal, me dit : « Il faut que je vous rende le livre que vous m’avez prêté, » et elle m’invita à la suivre. Mon livre rendu, elle m’en montra un sur les colonies agricoles. « Le connaissez-vous ? — Non, mais je voudrais bien le lire, et si Votre Majesté le permet, j’en noterai le titre. » Elle me tendit un crayon. « Il y aurait quelque chose de plus charmant, c’est que Votre Majesté voulût bien elle-même écrire le titre. » Elle sourit et de sa belle écriture le copia sur une grande feuille de papier, « J’espère, dit-elle, en me congédiant, que nous nous reverrons. — Je serai toujours aux ordres de Votre Majesté. »

« Sous ce gouvernement, dit Mathieu d’un ton amer, nous sommes destinés à voir les choses les plus étranges : cet hiver, nous verrons M. Emile Ollivier ministre de l’Intérieur. » Rouher fut averti de veiller. Caveant consules.


EMILE OLLIVIER.

  1. Voyez son rapport dans le Moniteur du 7 août 1865.