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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/341

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ou féminin suivant les nécessités. Quand donc le poète odysséen dit nèsos kirkès, il traduit l’original sémitique ai-aiè, avec une fidélité qui va jusqu’à l’extrême limite de la correction et même un peu contre l’usage.

Sous toutes les aventures d’Ulysse, on retrouve de pareils vocables sémitiques, qui nous reportent à la Méditerranée phénicienne et qui peuvent la reconstituer sous nos yeux. Et réciproquement cette Méditerranée phénicienne, une fois retrouvée, nous explique l’ensemble et le détail des aventures odysséennes. Ulysse ne navigue plus dans une brume de légende en des pays imaginaires. De cap en cap, d’île en île, il cabote sur les côtes italiennes ou espagnoles que fréquentait le commerce phénicien. Les monstres atroces qu’il rencontre, cette horrible Skylla, qui, du fond de sa caverne, hurle comme un jeune chien à l’entrée du détroit de Sicile, les Phéniciens la connaissaient réellement et la signalaient à leurs pilotes, comme nos marins la connaissent aujourd’hui et la signalent dans les parages du détroit de Messine : « En dedans du cap, disent les Instructions, s’élève le mont Scuderi, qui a 1 250 mètres de hauteur. Auprès du sommet aplati de cette montagne, il existe une caverne, d’où le vent sort en soufflant avec une certaine violence. » Les Instructions nautiques sont encore et toujours le meilleur commentaire de l’Odyssée.

Les Anciens avaient coutume de chercher dans les poèmes homériques la source de toute science et de toute vérité : même avant d’entreprendre mes études odysséennes, j’avoue que cette conception me paraissait la plus satisfaisante. A voir dans une œuvre des Hellènes, quelle qu’elle soit, un produit de la seule imagination, on s’éloigne d’un juste sentiment des choses. Quiconque a longtemps vécu dans la fréquentation des Hellènes, anciens et modernes, est bien obligé de convenir que l’imagination n’est pas leur faculté maîtresse ni la source de leurs œuvres d’art. L’invention créatrice n’est pas ce qu’ils demandent à leurs artistes. Peu leur importe qu’après vingt autres, un tragique leur répète, sans y rien changer, les douloureuses aventures d’Hécube ou d’Antigone. Sans modifier en rien la disposition générale de l’œuvre, un architecte ou un sculpteur pourra toujours leur recommencer le temple ou la statue que cent autres avant lui auront faits. Les poèmes homériques et surtout l’Odyssée ne se distinguent pas des autres œuvres grecques. Il ne faut pas comparer l’Ulysséide aux énormes tératologies des Hindous ni aux