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Dans les maisons de paysans même, quoiqu’on n’y mange guère de viande, vous trouverez souvent un bon ordinaire, le bortsch par exemple, qui n’est pas plus mauvais pour être préparé au lard : c’est une espèce de pot-au-feu où entrent tous les légumes de la création, depuis la pomme de terre, le chou et la tomate jusqu’au piment rouge, cuits dans un bouillon fortement coupé de jus de betterave. L’été, il remplace le chtchi, la soupe d’hiver à la choucroute. La kacha, l’éternelle bouillie de gruau, est de toute saison ; le pain noir a sa place sur la table des riches auprès du pain blanc ; et le sucre de la pastèque barbouille les enfans jusqu’aux yeux tant que dure ce fruit que les travailleurs emportent quotidiennement aux champs, sous leur bras, pour le repas de midi. Toutes les variétés de melon prospèrent en Petite-Russie. On ne peut dire assez de bien d’un certain melon de Perse, blanc comme neige dans son étui allongé de peau grisâtre que l’on dirait gravée, craquelée, vermiculée. Et jamais je ne me serais doutée que la famille des courges pût offrir de telles ressources, variées presque à l’infini.

L’aubergine en caviar, le petit concombre salé, sont des hors-d’œuvre essentiellement russes. Il y en a cent autres, composant le genre d’apéritif appelé zakouska. Tous les ingrédiens qui donnent de l’accent à la nourriture : poivre de Cayenne, piment, etc., prennent place dans la plupart des mets ; sans eux, les pâtes et les hachis, dont on abuse un peu, risqueraient de paraître fades. Un régal délicieux est la flûte, l’épi de maïs encore vert bouilli dans sa soyeuse enveloppe ; on l’épluche, on le graisse d’un peu de beurre et on mord dedans avec une hardiesse toute barbare. Je ne parle pas des entremets, les aladiés entre autres, espèce de beignet à l’huile de tournesol qu’on arrose de miel.


Après dîner, nous faisons le tour du parc ; j’aurai tout le temps de voir la maison, dont je ne connais encore qu’un grand salon, assez solennel, la longue salle à manger et la véranda, au delà de laquelle on découvre des pelouses bien entretenues, couvertes de massifs aux feuillages diaprés. Arbustes et fleurs poussent et s’épanouissent à plaisir dans ce riche humus végétal, accumulé par les siècles. Il n’y a pas de jardin anglais plus charmant que celui-ci.

Une rivière que les mouettes rasent de leurs ailes blanches et veloutées, coule à pleins bords sous de superbes ombrages et