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occupe un quart de la chambre et par les interstices de la maçonnerie d’argile. La malpropreté des vêtemens est aussi une cause de maladie et, sous ces habits sordides, le corps du Petit-Russien n’est pas lavé comme celui du Grand-Russe qui, fût-il couvert de vermine, a toujours pris le samedi un bain de vapeur, après lequel il lui arrive parfois de se rouler allègrement dans la neige.


II. — LES VILLES. — LES PÈLERINAGES

Combien y aurait-il à dire sur l’ancienne Ukraine, ce. pays limitrophe de la Turquie, compris jadis entre les rives du Don et les monts Carpathes et que beaucoup d’esprits aventureux voudraient voir reconstituer en État indépendant ! Je n’ai parlé encore que de la campagne. Il faudrait indiquer au moins la physionomie de trois villes principales, Kiev, Kharkov, Poltava. La première est déjà connue des lecteurs de la Revue, par le tableau si expressif qu’en a fait Art Roë[1]. Si j’y reviens, c’est qu’en Russie la différence entre les aspects d’hiver et les aspects d’été est telle qu’on ne risque guère en donnant des impressions sur le même lieu, visité en différentes saisons, de tomber dans des redites. Le Kiev de Pâques ne ressemble à celui de l’Assomption que par l’ardeur de la piété dont les saintes images sont l’objet.

Du pont Nicolas, un pont suspendu de 770 mètres de long, nous embrassons l’ensemble de la ville, mère de toutes les villes de Russie ; ces hauteurs à pic sur lesquelles s’échelonnent en grand nombre, dans la verdure, les dômes et les clochers d’argent et d’or ; puis, en bas, le quartier du commerce qui rejoint sur le fleuve une file interminable de bateaux à l’ancre, et de trains de bois ; puis enfin le fleuve lui-même rétréci de moitié par la sécheresse. Tout cela brille, bruit ou s’agite sous le bleu profond, éclatant et pur d’un ciel qui pourrait être celui de Byzance, dont Kiev reproduisit jadis, par les soins de Jaroslav le Sage, les portes de bronze et la basilique fameuse. On aperçoit, au sommet d’un plateau surmonté de belles promenades, une statue colossale de saint Vladimir tenant la croix qu’il impose à ses sujets, et la scène, qui a été magistralement traitée

  1. Impressions de Russie, la Semaine sainte à Kiev, Revue du 1er avril 1897.