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différentes de la terre, depuis la terre noire jusqu’à l’argile et au sable, de la faune et de la flore dans la steppe et dans la forêt, enfin des diverses céréales. Un petit musée archéologique renferme les armes, les bijoux, la poterie que recelaient les Kourganes. C’est une fondation qui ne pourra manquer de grandir, grâce au zèle éclairé de quelques citoyens très désireux de mettre en lumière leur Ukraine natale, la décentralisation étant le rêve de beaucoup de bons esprits.

La vue d’une colonne dédiée à la bataille de Poltava, puis la rencontre d’une pierre commémorative marquant l’emplacement de la maison où Pierre le Grand logea après cette victoire nous donnent l’envie d’aller visiter le point où se décidèrent d’un coup en 1709 les destinées de la Russie, — le fameux tombeau des Suédois.

Pour nous y conduire notre izvoztchik passe devant l’énorme distillerie d’eau-de-vie dont le gouvernement a le monopole et d’où sort toute la misère du peuple ; puis nous tombons au centre d’un de ces grands marchés qui pourraient avoir lieu aussi bien en pays d’Orient. Des véhicules de toute espèce barrent le chemin. D’un côté, c’est un étalage énorme de céréales ; ce sont des mugissemens, des bêlemens, des cris de volailles en détresse ; les chevaux ruent, les cochons crient. De l’autre côté, se présentent dans un beau désordre tout ce que le pays, bien loin à la ronde, produit de fruits, de légumes, de poteries et d’étoffes. J’assiste en passant, très amusée, à la vente d’une vache et de son veau. Le marché se conclut entre deux paysans, celui-ci cachant à demi sous la jupe de sa svitka la corde de l’animal, une corde que celui-là fait le geste de trancher avec sa main. Sur quoi le vendeur avec un signe de croix la lâche, ce qui veut dire que vache et veau ne lui appartiennent plus.

Au delà du marché, nous nous engageons dans des chemins épouvantables entre les champs labourés. La glaise qui sert à fabriquer de si jolies poteries forme sous les pieds des chevaux cinq kilomètres d’ornières et de fondrières. On atteint enfin la lisière d’un bois où l’agglomération de pavillons nombreux, rapprochés les uns des autres, révèle une de ces colonies d’aliénés d’après les nouveaux systèmes qui veulent que les fous guérissent mieux à la campagne qu’en ville, surtout si l’on arrive à leur créer des occupations au grand air. Plus loin, sur ce vaste