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lution d’un peuple, les époques où le savant passe au premier plan ; ce sont les époques de fatigue, souvent de crépuscule, de déclin. « C’en est fait de l’exubérance d’énergie, de la certitude de vie, de la certitude d’avenir. La suprématie des mandarins ne signifie jamais rien de bon ; tout aussi peu que l’avènement de la démocratie, que les tribunaux d’arbitrage remplaçant les guerres, que l’émancipation des femmes, la religion de la souffrance humaine et autres symptômes d’une énergie vitale qui décline. » Les adversaires scientifiques des religions ne sont eux-mêmes que des « rachitiques de l’esprit. » Et ces fameuses « victoires de l’homme de science ! » — Est-ce que la tendance de l’homme à se rapetisser, sa volonté de se faire petit, n’est pas, depuis Copernic, en un continuel progrès ? Hélas ! c’en est fait de sa foi en sa dignité, en sa valeur unique, incomparable dans l’échelle des êtres ; il est devenu un animal, sans métaphore, sans restriction ni réserve, lui qui, selon sa foi de jadis était presque un Dieu. (Enfant de Dieu, Dieu fait homme). Depuis Copernic, il semble que l’homme soit sur une pente qui descend… Toute science (et pas seulement l’astronomie, sur l’influence humiliante et déprimante de laquelle Kant nous a laissé ce remarquable aveu : « Elle anéantit mon importance… ») toute science naturelle ou contre nature, — j’appelle ainsi la critique de la raison par elle-même, — travaille aujourd’hui à détruire en l’homme l’antique respect de soi, comme si ce respect n’avait jamais été autre chose qu’un bizarre produit de la vanité humaine[1]. »

De même que la science, la politique abaisse l’individu, au profit de l’État. L’État est, pour Nietzsche, un « chien hypocrite, » un chien de l’eu qui lance flamme et fumée, et qui parle en hurlemens, « pour faire croire qu’il parle des entrailles des choses. » L’État est une protection artificielle pour les hommes vulgaires et, au fond, inutiles, que Nietzche appelle les superflus, La populace finit par se faire adorer elle-même sous le nom de l’État.


Voyez donc ces superflus ! Ils volent les œuvres des inventeurs et les trésors des sages, ils appellent leur vol civilisation, et tout leur devient maladie et revers !

Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur

  1. Généalogie de la morale, p. 175.