Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/414

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

La condamnation de la justice, de l’égalité, de la science, de la démocratie qui en fait ses divinités, entraîne nécessairement la condamnation de toutes les réformes sociales. Nietzsche a en aversion le socialisme, parce que ce système s’oppose à la loi universelle d’exploitation. Dans le corps vivant, qu’arriverait-il si la tête cessait d’exploiter le reste du corps ? Toute fonction organique est asservissement et incorporation. Le collectivisme veut s’insurger contre la loi qui assujettit les faibles aux forts ; mais « le cliché communiste, qui ferait tenir toutes les volontés pour égales » invoque un principe « ennemi de la vie, » il est un agent de dissolution et de destruction[1].

La nouveauté sociale que prêche Zarathoustra, c’est le retour aux vieilles castes de l’Inde. La première caste sera la foule des travailleurs, auxquels on enseignera la morale des esclaves, c’est-à-dire la résignation, la soumission, l’humilité, le travail et l’abnégation. La morale et la religion sont bonnes pour le peuple, surtout la morale du devoir, qui commande aux gens faits pour obéir, et la religion chrétienne, qui console les affligés, guérit les malades avec le baume de l’illusion. Quand on ne peut pas « contraindre des étoiles à tourner autour de soi, » il faut se contenter du rang modeste de petit satellite ou d’aérolithe et tourner soi-même autour d’une étoile, jusqu’à ce qu’on soit dissipé en fumée. Mais, au-dessus des travailleurs, s’élèvent les guerriers, qui sont les intermédiaires entre les maîtres et les esclaves, entre les Surhommes et les simples hommes.


Si vous ne pouvez pas être les saints de la connaissance, soyez-en du moins les guerriers. Ce sont les compagnons et les précurseurs de cette sainteté…

La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain. Ce n’est pas votre pitié, c’est votre bravoure qui sauva jusqu’à présent les victimes.

La révolte, c’est la noblesse de l’esclave. Que votre noblesse soit l’obéissance ! Que votre commandement lui-même soit de l’obéissance !

Un bon guerrier préfère tu dois à je veux, et vous devez vous faire commander tout ce que vous aimez[2] !

  1. Généalogie de la morale, 2e dissertation, § 11.
  2. Zarathoustra, p. 60.