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service militaire, » on lui a donné « le droit de coalition, le droit de vote politique ! » Quoi d’étonnant si son existence lui apparaît, aujourd’hui déjà, « comme une calamité (ou, pour parler la langue de la morale, comme une injustice) ? » Mais que veut-on donc ? demande Nietzsche. « Si l’on veut atteindre un but, on doit en vouloir aussi les moyens ; si l’on veut des esclaves, on est fou de leur accorder ce qui en fait des maîtres ! »

De nos jours, dit Nietzsche, on espère « administrer l’humanité » d’une manière plus économique, moins ruineuse, plus uniforme et plus systématique, quand il n’y aura plus autre chose que de « vastes organismes collectifs et leurs membres. » On tient pour bon et juste tout ce qui, en quelque manière, se rapporte à cet « instinct » de centralisation et d’incorporation au groupe ; et c’est là ce qui constitue le grand courant moral de notre âge, aux dépens de toute activité, de toute initiative, de toute originalité individuelle. On aboutit à la « totale dégénérescence de l’homme. » dont ne savent pas s’écarter « les têtes sottement superficielles des socialistes ; » car elles ont pour idéal « l’abâtardissement et l’assombrissement de l’homme, » égalisé en droits, égalisé par la vie commune dans la corporation collective, assujetti aux moyens communs d’atteindre les fins sociales. Le socialisme n’a d’autre but que de satisfaire et d’aduler « les plus sublimes aspirations de l’animal de troupeau. » Le mouvement socialiste, comme le mouvement démocratique, n’est qu’une conséquence de la morale fondée sur les notions de justice et de charité. Et quel en est le seul résultat ? Partout se développe une angoisse qui s’empare de l’esprit des impatiens, des êtres maladifs et avides.

Le dernier degré de ce que Nietzsche appellerait volontiers, avec Rabelais, l’Antinature, l’Antiphysis, c’est l’égalité que les démocrates et les socialistes veulent établir entre l’homme et la femme. Ils prétendent, ces utopistes, faire ce que, selon un mot célèbre, le Parlement anglais, qui peut tout, ne peut cependant pas faire : changer la femme en homme. Les deux fonctions des deux sexes sont, en réalité, aussi différentes que les sexes eux-mêmes : l’homme doit produire des œuvres de toute sorte ; pour la femme, en dehors de l’amour et de l’enfant, il n’y a rien. « Tout dans la vie de la femme est énigme, dit Zarathoustra, et tout dans la femme a une solution, qui a nom « Enfantement. » Et Zarathoustra ajoute : « Le bonheur de l’homme a nom : Je