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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/451

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n’est plus qu’un grand cœur vibrant. C’est elle qui vit et nous ne faisons qu’avoir part à sa vie. Les individus, quels que puissent être d’ailleurs leurs mérites ; leurs fautes et peut-être leur action ne sont plus qu’à l’arrière-plan. La scène appartient à l’être collectif, à la France qui se défend, qui lutte, qui souffre, qui s’affole, qui succombe, ou qui se relève.

Aussi les livres de MM. Margueritte sont-ils des spécimens très représentatifs du roman collectif. Nos lecteurs ont trop présent à l’esprit le souvenir de ces beaux récits, le Désastre, — les Tronçons du Glaive, pour qu’il soit besoin de les leur rappeler ; et il y aurait quelque indiscrétion à en faire ici l’éloge. J’insiste seulement sur le rôle qu’on y a donné aux foules. Ce sont elles qui agissent et c’est sur elles que se concentre l’attention. Si, dans le Désastre, le récit était presque uniquement militaire, dans les Tronçons du Glaive, les auteurs nous mènent tour à tour à l’armée et dans la rue, sur le champ de bataille et dans les assemblées envahies par le peuple ; les scènes de la vie politique alternent avec les scènes de la vie militaire. La foule est d’abord un grand enfant, crédule, curieux, badaud, naïf ; être impulsif de sentiment et d’instinct, elle subit toutes les impressions l’une après l’autre et appartient tout entière à chacune, toujours prête à se renier elle-même, à renverser ce qu’elle vient d’édifier, à honnir celui qu’elle vient d’acclamer, agissant au hasard et dans l’aveuglement, sans savoir jamais ni ce qu’elle fait, ni pourquoi elle le fait. A Tours, à Paris, c’est ainsi qu’elle passe sans transition et surtout sans raison des illusions les plus candides aux désespoirs les plus furieux, renverse les gouvernemens, en improvise d’autres, vivant au jour le jour. La foule est folle et elle peut devenir criminelle : dans leur prochain roman, consacré à la Commune, MM. Margueritte auront une belle occasion de nous le montrer. Et enfin il y a des foules héroïques. Ce qui restera sans doute à l’honneur de MM. Margueritte, et qui est en singulière convenance avec le nom qu’ils portent, c’est qu’ils ont su, mieux qu’on ne l’avait encore fait avant eux, nous donner l’impression de cet héroïsme en commun. Nulle part la solidarité n’est si complète que dans une armée en campagne, parce qu’elle est faite ici moins encore par l’existence en commun que par la communauté du danger qui menace l’existence de chacun. Plus efficace en ce sens que les épreuves, les fatigues, les souffrances subies ensemble est l’égalité dans le sacrifice, l’identité devant la mort. Ces armées de la France malheureuse, ballottées au gré d’un commandement incertain, réservées aux plus atroces défaites, MM. Margueritte ont su nous les faire