et Mélisande ne vaut ou n’existe par la symphonie ; car la symphonie, étant développement, n’est possible que là où se trouve quelque chose à développer. Et l’orchestre, qui ne sert ni à l’exposition ni à l’élaboration de thèmes formels, ne s’emploie guère davantage à l’alliance de timbres agréables. Sans intérêt pour l’esprit, il est presque toujours sans charme pour l’oreille. Je citerais peu de passages où des sonorités instrumentales m’aient séduit. Au dernier tableau cependant l’orchestre arrive à quelques effets heureux de discrétion, de finesse et de ténuité. Comme la frêle héroïne, il respire à peine, il agonise, il meurt. Une autre fois, une seule, il vit au contraire, et d’une vie éclatante. C’est après une promenade faite par Golaud et Pelléas, avec des intentions vaguement criminelles, dans les souterrains du château. Le retour des deux hommes à la lumière est salué par une belle effusion de fraîcheur, de rayons et de parfums. Partout ailleurs l’orchestre de M. Debussy paraît grêle et pointu. S’il prétend caresser, il égratigne et blesse. Il fait peu de bruit, je l’accorde, mais un vilain petit bruit. Et tenez, voilà justement le mot qui définirait le mieux cette musique. Elle semble n’être qu’un bruit, ou plutôt un mélange de bruits divers et vagues : une porte qui grince, un enfant qui vagit au loin, des meubles qu’on déplace, le soupir du vent dans le feuillage ou sur les eaux. On se prend à douter parfois que tout cela soit noté, que ces rumeurs ou ces murmures aient passé de l’état sonore inorganique à l’état de sons organisés, et du domaine de la nature et de la matière dans celui de l’esprit et de l’art.
Restent encore deux modes ou deux catégories de l’art musical : c’est la déclamation et c’est l’harmonie. Dans l’ordre qu’on peut appeler verbal, il se pourrait que l’œuvre de M. Debussy ne fût pas tout à fait indifférente. Le rapport entre la parole et la note y est plus d’une fois heureux. Maintes pages : au second acte une lettre de Golaud, lue par la reine Geneviève ; de nombreuses répliques au dernier tableau, sont à cet égard véritablement belles, d’une beauté simple, émouvante, étrange même par la justesse, par l’intensité d’une intonation ou d’un accent posé doucement sur un orchestre qui murmure à peine, ou dans le silence et comme dans le vide d’un orchestre qui se tait. Voilà l’unique promesse d’une œuvre qui, par trop de côtés, apparaît menaçante, le seul indice un peu favorable parmi tant de symptômes alarmans.
Enfin et surtout, c’est dans l’ordre de l’harmonie que réside la nouveauté — prétendue — de l’art de M. Debussy, Cet art, tout le monde en convient, est exclusivement harmonique. Dégagé du rythme,