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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/466

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Un chapitre entier est consacré, dans le volume, au développement de cette conclusion en ce qui touche l’auteur des Huguenots. M. Spencer cite des jugemens portés jadis sur Meyerbeer par Franz Liszt et par Henri Heine ; il ajoute que, parmi les musiciens qu’il a consultés de nos jours, aucun ne prend plus au sérieux le génie de Meyerbeer ; et, de la comparaison entre cette gloire passée et cet abandon présent, il déduit la certitude que le jour est prochain où la loi du « rythme des réputations » ramènera Meyerbeer au premier rang des compositeurs. Il oublie qu’il y a eu, depuis trois cents ans, bien d’autres compositeurs dont la gloire a égalé celle de Meyerbeer, pour, ensuite, disparaître sans aucune chance de résurrection. Au temps de Mozart, Martin et Kozeluch étaient infiniment plus admirés que l’auteur de Don Juan : M. Spencer croit-il, de bonne foi, que la loi du « rythme des réputations » leur rende jamais l’estime dont ils jouissaient auprès du public et des connaisseurs ? Croit-il que George Sand ait chance d’être de nouveau préférée à Balzac ? Et ne sait-il pas que, même à mérite égal, diverses œuvres peuvent avoir, à des degrés différens, les qualités qui les rendent aptes à la survivance ? Certes, lisait tout cela : mais il l’oublie au contact des faits, entraîné par sa passion instinctive de généraliser. Et j’ajoute que j’ai cité cet exemple au hasard, entre une foule d’autres non moins saisissans. Un petit trait d’observation ; puis, tout de suite, une loi générale se dégageant de ce trait : voilà, d’une façon à peu près invariable, le contenu des trois quarts des essais du volume nouveau.

Mais, d’autre part, ce volume met en plein relief une des plus précieuses qualités de l’esprit de M. Spencer : à savoir, sa droite et courageuse franchise, la hardiesse avec laquelle il va jusqu’aux conséquences extrêmes de ses idées, sans jamais s’inquiéter de ce qu’elles peuvent avoir de contraire aux idées courantes. Considéré à ce point de vue, son dernier livre a vraiment quelque chose de très noble à la fois et de très touchant. Non seulement le vieillard ne laisse point passer une occasion d’affirmer, en présence des progrès de l’impérialisme anglais, sa haine pour toute intervention de l’État dans la vie publique ; non seulement il flétrit ce qu’il nomme « la manie éducationnelle ; « non seulement il condamne toute organisation officielle de la lutte contre l’ignorance, l’alcoolisme, ou les maladies contagieuses ; mais, apportant à ses déductions la même intrépidité qu’à ses généralisations, il ne se fait pas faute d’exprimer vertement son mépris pour les hommes politiques de son temps et, du même coup, pour la grande majorité de ses compatriotes. Il accuse les ministres