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plus précise, au milieu de la guerre, quand les troupes prussiennes et autrichiennes entrèrent dans le Sleswig. — « Êtes-vous disposés, demanda-t-il à Drouyn de Lhuys, à vous joindre à nous dans une démonstration navale à Copenhague ? » Drouyn de Lhuys, c’est un point historique essentiel à bien constater, ne répondit point par un refus, mais par une interrogation : « Notre situation et celle de l’Angleterre, dit-il, ne sont pas égales. L’Angleterre n’a rien à redouter pour elle-même d’une démonstration navale dans les eaux du Danemark. Elle pourrait aisément bloquer les ports allemands et infliger à la Prusse une leçon qui laisserait le nom britannique redouté. Nous, au contraire, nous aurions en perspective une guerre, peut-être longue, avec une nation militaire de quarante millions d’hommes et la certitude, quel qu’en fût le résultat, de créer ou de raviver des haines avec lesquelles, pendant des années, notre politique aurait à compter. Etes-vous prêts à nous garantir contre ces éventualités ? Dans le cas où une attaque sur le Rhin répondrait à notre démonstration navale, êtes-vous décidés à nous assister, et voulez-vous dire comment et dans quelle mesure vous le feriez ? » « J’attends encore la réponse, » disait bien longtemps après Drouyn de Lhuys en racontant cet incident si honorable pour lui et si souvent travesti. Le fantôme du Rhin s’était de nouveau levé devant les hommes d’Etat anglais et ils lui sacrifièrent le Danemark.

Une troisième, et dernière fois Russell pourtant nous interpella, au milieu de la Conférence de Londres, qui sépara le commencement et la fin de la guerre. Le démembrement des Duchés venait d’être admis en principe ; la fixation de la frontière devenait la question capitale et, on peut dire, unique de la Conférence ; elle résolue, la paix était assurée. Mais Bismarck, qui ne voulait pas de la paix, s’arrangea de manière qu’elle ne le fût pas. Au tracé de Russell, Schlei-Dannewirk, il en opposa un, Apenrad-Tondern, qui, englobant les trois quarts du Sleswig, était inacceptable par le Danemark, qui en effet le refusa. Pour en finir, Russell offrit à Drouyn de Lhuys de s’entendre sur une ligne intermédiaire entre les deux tracés, par exemple celle de Kappel-Husum, et de la proposer aux deux parties par un ultimatum. Pour la troisième fois Drouyn de Lhuys reprit la même interrogation : « Si ce n’est qu’une démonstration, nous n’en voulons pas ; si c’est un prélude de guerre, à quelles conditions