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élévation de sentimens, était un ministre sur le type d’Antonelli, avant tout, dévoué à son maître jusqu’au sacrifice de soi-même, donnant de bons conseils et prenant la responsabilité des mauvais, quand on ne l’avait pas écouté. Sous lui, plus encore que sous Rechberg, François-Joseph était le seul maître de sa politique extérieure, et c’est avec lui que Schmerling se heurtait à tout instant. Il voulait tout sacrifier à l’entente avec la Diète, les États moyens et l’opinion publique allemande ; François-Joseph, bien aise d’être d’accord avec la Diète et les États moyens, se préoccupait peu de l’opinion publique, et beaucoup de ne pas rompre irrévocablement avec la Prusse.

Il n’aurait pu sortir de l’impasse dans laquelle il s’était laissé acculer que par un de ces coups d’audace qu’ont seuls les hommes de génie. S’il eût été tel, ou s’il avait encore eu pour conseiller un Schwarzenberg, il eût vu qu’il ne réussirait pas à conserver à la fois sa domination en Vénétie et sa prépondérance en Allemagne. Sans s’arrêter aux objections, aux inconvéniens, et surtout aux considérations d’amour-propre militaire, il eût opté résolument entre les deux. Tenait-il avant tout à conserver sa possession italienne, il eût abandonné les Duchés à la Prusse moyennant une indemnité qui aurait rempli son trésor à sec, lui eût non moins résolument livré l’Allemagne jusqu’au Mein, moyennant une alliance offensive et défensive, non contre l’Italie, qui, réduite à ses propres forces, n’était plus à redouter, mais contre la France, au cas où elle recommencerait un 1859. Préférait-il sa prépondérance en Allemagne, il eût abandonné la Vénétie à l’Italie, moyennant indemnité, repris toutes les concessions de Rechberg, épousé, ouvertement et à tous risques, la cause d’Augustenbourg, rallié derrière lui les États moyens du Sud et du Nord, tenté de contracter avec Napoléon III une alliance offensive et défensive contre la Prusse, à laquelle ce souverain ne se serait pas refusé, au lendemain d’une cession de la Vénétie, dont il eût été l’intermédiaire. Et l’Autriche serait redevenue la suzeraine de l’Allemagne, comme elle l’avait été à Olmütz ; la lutte séculaire se serait terminée en sa faveur, et la nouvelle couronne d’Allemagne serait tombée sur sa tête, non sur celle du roi Guillaume.

François-Joseph n’adopta aucune de ces politiques énergiques ; il entra dans celle des demi-mesures, ne sachant pas ce qu’il voulait, résistant, puis se rendant à merci, ne contentant