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pas la Prusse, blessant la Diète, n’osant être ni pour ni contre Augustenbourg, revendiquant le droit de conquête, puis se rangeant sous l’égide du principe des nationalités : lent, incertain, contradictoire, aveugle, et cela en présence d’un adversaire décidé, résolu, clairvoyant, sachant nettement ce qu’il voulait et où il allait, ne concédant rien à personne que ce qui était indispensable pour cacher ou faciliter ses opérations offensives. Hommes d’Etat de l’avenir, si vous voulez apprendre comment on périt, méditez sur l’imprévoyante diplomatie autrichienne dans toute cette affaire des Duchés !


V

Bismarck s’installa dans la propriété commune, comme s’il en était le seul maître ; il augmenta démesurément les forces prussiennes, et organisa ouvertement l’annexion. Il promettait la remise des sommes considérables incombant aux Duchés pour frais de guerre, s’ils se réunissaient à la Prusse ; il menaçait de leur recouvrement impitoyable au cas contraire, d’où résultait ou la misère avec une dette énorme et un prince ruiné, ou la prospérité et la richesse avec le roi de Prusse comme bienfaiteur et souverain.

Chaque jour, par un coup de charrue, il empiétait sur le voisin et reculait la limite de son droit. Il amena la situation entre les deux alliés à ce point extrême où ils n’avaient plus en perspective qu’une reculade, déshonorante pour celui qui l’opérerait, ou la guerre.

Bismarck annonçait sa résolution de guerre à qui voulait l’entendre. Mais l’essentiel pour lui, avant de se lancer dans cette grosse aventure, était de s’assurer le bon vouloir de Napoléon III. Sans sa bienveillance, il n’eût pas pu mener à bonne fin la guerre contre le Danemark : à plus forte raison, lui devenait-elle indispensable pour la guerre, beaucoup plus sérieuse, contre l’Autriche. Des doutes inquiétans agitaient son esprit. Goltz à Paris était fort bien en cour, mais Metternich n’y était pas mal. Les dispositions de Vienne envers l’Italie devenaient plus conciliantes. On parlait d’amnistie pour les émigrés vénitiens, de traité de commerce, même de reconnaissance officielle du nouveau royaume. Supposant les autres aussi prompts que lui aux soubresauts utiles, Bismarck se préoccupait de l’éventualité d’un