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rapprochement subit à ses dépens entre la France et l’Autriche. Il n’entretenait notre ambassadeur qu’avec la pensée que ses paroles seraient rapportées à Vienne, et l’ambassadeur autrichien qu’avec le soupçon qu’on les redirait à Paris.

En vain il tournait et retournait Benedetti : il n’en pouvait tirer aucune information, non que cet ambassadeur fût un dissimulateur émérite, mais parce qu’il ignorait en réalité la politique des Tuileries ; n’ayant ni la confiance de Drouyn de Lhuys, ni les confidences de l’Empereur, il en était réduit à battre l’eau, à paraître ne pas comprendre, à couper court aux insinuations, à se réfugier dans les généralités inoffensives. Goltz n’obtenait pas mieux de l’Empereur, ni de l’Impératrice, ni de Drouyn de Lhuys, dont il observait les moindres mouvemens, recueillait les moindres propos, tout en restant lui-même sur ses gardes, car Bismarck lui recommandait « de ne jamais oublier que, si l’alliance française peut être la ressource des cas désespérés, elle est contre la nature des choses et que ni La France pour la Prusse ni la Prusse pour la France ne peuvent être un allié à toute épreuve[1] »

Le 9 avril, Bismarck manda Benedetti et lui dit : — « M. de Schmerling et ses amis songent à provoquer une sorte d’apaisement dans leurs relations avec l’Italie et à relever le crédit de l’Autriche en Allemagne, en s’appuyant sur les États secondaires. Si elle devait obtenir l’approbation de l’empereur François-Joseph, cette politique, qui, d’ailleurs, se concilie mal avec ses vues personnelles, créerait une situation dangereuse entre les deux grandes puissances germaniques… et pourrait amener une guerre devant laquelle je ne reculerais pas. Je désire connaître ce que je puis, dans ce cas, espérer ou craindre de l’Empereur. »

Drouyn de Lhuys, interrogé (14 avril), répondit par la note suivante : « Nous considérons sans aucun sentiment d’envie ce qui peut arriver d’heureux à la Prusse ; nous ne méconnaissons pas l’importance de l’intérêt qui lui fait ambitionner sur la Baltique et la mer du Nord un établissement plus en rapport avec sa situation politique, et il ne serait conforme ni au caractère de nos relations, ni à nos propres traditions, de nous opposer à ses efforts pour devenir une puissance maritime. M. de

  1. Bismarck à Goltz, 20 février. Sybel, IV, 73.