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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/511

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tolérante envers sa rivale. Il n’existe pas d’antagonisme sérieux entre elles, car elles trouvent leur point de contact mutuel dans la patrie commune, le Sleswig-Holstein (25 septembre). »

Sur ce discours indiscret, Bismarck dit à Lefebvre de Béhaine : « Je regrette de le dire, le langage que mon pauvre ami se croit obligé de tenir au public est aussi bote que superflu. Le Roi lui a écrit de moins parler, et de ne pas préjuger ses intentions sur une question comme celle de la restitution éventuelle du Nord du Sleswig, — question sur laquelle nous sommes prêts à profiter de la première occasion de discuter avec le gouvernement français. » Il se montrait désolé d’avoir à se séparer d’un homme qui lui avait toujours inspiré un sincère attachement, et qui lui avait prêté souvent un concours très utile pour triompher des tergiversations du Roi, « jusqu’au moment où Sa Majesté arrivait à prendre des résolutions qui alors devenaient inébranlables et se poursuivaient avec un courage léger et facile. » — « M. de Manteuffel est-il ennemi de la France ? demanda Béhaine. — Nullement. Le général est un conservateur irréductible à l’intérieur ; mais, dès qu’il s’agit de la politique extérieure, il a une liberté d’esprit qui contraste singulièrement avec ses passions de carliste. Et la perspective des agrandissemens de son pays, l’ambition qu’il a d’y concourir, passent avant tout. Le jour où une alliance deviendrait possible avec la France, il n’hésiterait pas à sacrifier l’intérêt des relations étroites qu’il entretient, depuis des années, avec la cour de Russie, avec l’archiduchesse Sophie, la Reine douairière de Prusse, et le parti de la Croix, dont il est actuellement un des chefs. Mais c’est un chef très différent de ceux qui subordonnent, à leur culte pour la gloire immaculée de la doctrine, les inspirations de leur patriotisme : celles-ci dominent tout à ses yeux. Et, pour faciliter à la Prusse l’acquisition d’une nouvelle province, il ne reculerait devant rien. Il serait prêt à commettre des crimes politiques[1]. »

Manteuffel, de son côté, accusait Bismarck de manquer d’énergie, de trop tergiverser. Un dissentiment entre gens qui voulaient la même chose ne pouvait durer. Ils se rencontrèrent à Hambourg, s’expliquèrent ; Manteuffel comprit qu’un peu de prudence était de mise, et il retint sa langue.

Sur un autre point, d’ailleurs, les impétuosités du général

  1. Lefebvre de Béhaine à Drouyn de Lhuys (29 septembre 1865).