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satisfaction d’élever sur un autre de ses flancs une nouvelle nation qui ne tarderait pas à devenir également redoutable ? Pouvait-il supposer que, non content de travailler à la constitution de ces deux puissances, ce souverain augmenterait leur valeur respective en établissant entre elles une amitié d’origine, de telle sorte qu’elles n’en formassent qu’une seule au regard de la France ? Si on eût révélé à Bismarck une telle naïveté, il eût éclaté en sarcasmes incrédules, et il ne pouvait la supposer de l’Empereur, qu’il jugeait un souverain avisé et habile. Aussi Napoléon avait-il beau multiplier ses déclarations désintéressées, il n’y croyait pas ; il y voyait un piège : ne vouloir absolument rien lui paraissait trop peu ; il le soupçonnait de méditer comme lui de prendre quelque chose quelque part ; il le comparait à ce dompteur qui se retrouvait chaque soir en présence d’un Anglais impassible attendant le moment de le voir dévorer par ses lions. Et il ne cessait de rouler dans ses calculs l’obsédante question : Que veut donc l’Empereur ?


XIII

Désormais, dans l’histoire de l’Empereur, va intervenir un élément invisible, mais toujours agissant, et dont, pour être juste, il ne faut pas faire abstraction : la maladie.

De tout temps l’Empereur éprouva des douleurs superficielles de la peau, des cuisses particulièrement, amenées ou exaspérées par le froid, et il était sujet au flux hémorroïdal. Les symptômes douloureux, à partir de 1863, se reproduisirent plus fréquemment. « Anémie, goutte, rhumatismes, » dit-on. On l’envoya à Vichy. Le bien momentané qu’il parut en éprouver fut suivi de récidives et quelquefois d’aggravations. Pendant tout le commencement de l’année 1863, à tout instant il fut empêché d’assister au conseil des ministres. Au camp de Châlons, il ressentit, pendant une nuit, de si cruelles souffrances qu’au matin, il fit appeler le docteur Larrey. « Pourquoi Votre Majesté ne m’a-t-elle pas fait venir plus tôt ? dit Larrey. — Vous avez beaucoup à faire, mon bon Larrey, et je n’ai pas voulu jeter l’alarme. » Bon, en effet, était Larrey, et de plus un praticien très exercé. Quand l’Empereur lui eut décrit les symptômes de son mal, il fut convaincu, il me l’a maintes fois répété, que ces symptômes ne pouvaient s’expliquer que par l’existence d’une pierre dans