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LE DUC DE BOURGOGNE
EN FLANDRE

I
L’ENTRÉE EN CAMPAGNE ET LE PARTAGE DU COMMANDEMENT AVEC VENDOME

« Me voicy arrivé à ces années funestes dont les malheurs sont si connus, mais dont les sources sont si ténébreuses, et dont les ténèbres, quoyque trop bien éclairées, sont si affreuses qu’elles ne se peuvent encore, après tant d’années, développer qu’en énigme et en gros. Elles percent le cœur ; elles font dresser les cheveux à la teste ; elles ont creusé des précipices qui ont pensé engloutir la France qui, malgré des miracles de la pure Providence, gémit encore et gémira longtemps sous le poids accablant des suites qui en ont résulté. Le fond de cet abisme d’horreur n’est pas inconnu, tant s’en faut, mais semblable à l’enfer dont il est sorti, quelle est la plume qui oseroit le rendre ? Tremblons mesme d’en approcher[1]. » C’est sur ce ton tragique que, dans son Parallèle des trois premiers rois Bourbons, Saint-Simon aborde le récit des événemens qui marquèrent l’année 1708, puis tout à coup, après avoir parlé des « si hardis filets où le Roi avoit été pris, » il s’arrête et dit : « j’invoque le silence » et brusquement, il passe au récit des malheurs qui attristèrent la fin du règne.

  1. Écrits inédits de Saint-Simon, III, p. 281.