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relâchement qu’il avait laissé s’introduire dans la discipline de son armée était-il pour quelque chose dans cette popularité. Mais, en habile homme, il avait su se ménager la faveur des gens de lettres qu’il payait, et qui le remboursaient eu flatteries. La Fontaine, à qui il faisait une pension de 600 livres, lui adressait des épîtres qu’on voudrait écrites sur un ton plus digne. La Fare, Chaulieu, le célébraient à l’envi. Les poètes n’étaient pas seuls à l’entourer. Le Temple était également hospitalier aux gens de théâtre, Campistron, Palaprat, Brueys, et ce monde de lettres étendait loin son influence. Nous dirions aujourd’hui qu’il avait la presse pour lui. Aussi l’opinion publique s’était-elle peu à peu engouée de Vendôme à un degré incroyable. Lorsque, en 1706, après le désastre de Ramillies, il fut autorisé à quitter pour quelques jours le commandement qu’il exerçait en Italie, son arrivée à Marly fit événement. « Ce fut une rumeur épouvantable, dit Saint-Simon, que cette fois on peut en croire sur parole : les galopins, les porteurs de chaise, tous les valets de la Cour quittèrent tout pour environner sa chaise de poste. A peine monté dans sa chambre, tout y courut. Les princes du sang, si piqués de sa préférence sur eux à servir et de bien d’autres choses, y arrivèrent tout les premiers. On peut juger si les deux bâtards (le Duc du Maine et le Comte de Toulouse) s’y firent attendre. Les ministres accoururent, et tellement tout le courtisan qu’il ne resta dans le salon que les dames. Pour moi, ajoute fièrement Saint-Simon, je demeurai spectateur et n’allai point adorer l’idole. » Le Roi le fit demander, alla au-devant de lui, et l’embrassa à plusieurs reprises. C’était, à qui lui donnerait des fêtes où l’on se précipitait ; mais rien n’égala l’empressement du populaire, lorsqu’il se rendit d’Anet à Paris pour assister à la représentation de Roland, que l’Opéra donna tout exprès pour lui. « Les places des loges et de l’amphithéâtre se trouvèrent toutes retenues huit jours auparavant, disent les Mémoires de Sourches[1], tant on avoit envie de le voir ; le parterre ne put contenir la moitié des gens qui y vouloient entrer, et, dès qu’il parut à sa place, tout le monde se mit à battre des mains et à crier : « Vive Vendôme ! » jusqu’à ce que l’Opéra commençât ; après la fin duquel les mêmes : « Vive Vendôme » recommencèrent, et, s’il étoit toujours demeuré dans la loge, personne ne

  1. Sourches, t. X, p. 249.