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la régularisation de la voie danubienne et le raccordement des chemins de fer orientaux avec les lignes de l’Europe centrale. Dès lors, les pays allemands se remirent à envisager le Levant comme leur domaine économique, leur Handelsgebiet naturel.

« Tant que les États des Balkans, écrivait il y a vingt ans M. Paul Dehn[1], ne sont encore consolidés ni à l’intérieur, ni à l’extérieur ; tant que la Turquie d’Europe subsiste encore, tant que l’Asie Mineure, avec la route de Trébizonde à Téhéran, n’est pas encore tombée dans des mains russes, ni les vallées de l’Euphrate et du Tigre dans des mains anglaises, il y a pour l’Europe centrale moyen de rattraper en Orient le temps perdu... Grâce à la sagesse de sa politique, la Prusse est devenue l’organisatrice du Zollverein et puissance prépondérante en Allemagne. Les mêmes procédés promettent à l’empire allemand des succès plus grands encore. Assurément un but aussi élevé ne peut être atteint d’un seul coup, ni même par l’effort d’une seule génération ; mais il faut l’avoir sans cesse présent à l’esprit, aussi bien dans nos luttes intérieures que dans le maniement de notre politique générale. »

Comme de juste, les Allemands de l’Empire entendirent prendre la place occupée jadis par les Autrichiens et diriger, cette fois, la nouvelle poussée germanique. Le procès de la politique orientale de l’Autriche fut promptement instruit par les publicistes du Nord.

« S’il y avait eu à Vienne, à l’heure propice, disait le même M. Paul Dehn, un prince de l’envergure du Grand Électeur, le Danube, jusqu’à son embouchure, serait aujourd’hui un fleuve allemand. Vienne était naguère la capitale d’un grand empire homogène et expansif, auquel revenait la tâche historique de faire pénétrer en Orient la civilisation européenne par la culture allemande. Le vieil Empire a disparu ; un autre est né, plus grand, plus homogène, plus expansif encore que l’ancien, et c’est à ce nouvel Empire que l’avenir demandera de réaliser les choses vainement attendues du passé. »

De fait, la reprise des destinées orientales du germanisme trouvait l’Autriche beaucoup moins préparée que l’Allemagne à profiter de cette heureuse fortune. Trop occupée autrefois des affaires allemandes et italiennes, elle avait un peu négligé

  1. Paul Dehn, Deutschland und Orient in ihren wirthschaftpololischen Beziehungen.