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Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/66

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l’Orient, et l’on avait beau jeu à lui reprocher d’avoir méconnu sa mission naturelle et compromis le privilège de sa position. Les querelles nationales retardaient le développement de ses forces et de son outillage économiques ; ses lignes de pénétration vers les Balkans s’achevaient à peine en 1880 ; le marché de Vienne était mal organisé, livré aux Juifs, bouleversé par les excès de la spéculation, déprimé par la crise de 1873 ; ses finances restaient mal assainies, le régime monétaire mauvais et l’incertitude des changes interdisait les grandes opérations financières. Autant de griefs soigneusement relevés contre l’Autriche pour soutenir la prééminence allemande.

Méconnaissant la contribution précieuse apportée par les savans autrichiens à l’étude de l’Orient ; les grands travaux de Hammer, Kanitz, Hahn, Beer, Jirécek, etc. ; les publications commerciales du musée oriental de Vienne, l’excellente tradition diplomatique conservée par l’Académie orientale ; enfin les services rendus par le Lloyd à la navigation dans le Levant, les écrivains allemands incriminèrent durement l’action autrichienne, en l’accusant d’avoir attiré sur le nom germanique le discrédit et la haine des populations orientales. — C’était, affirmaient-ils, aux sujets de l’Empire, aux Reichsdeutschen que revenait désormais le soin exclusif de réparer tant d’erreurs... Sur pareil sujet, la discussion se poursuit encore entre Allemands et Autrichiens : les premiers continuent à marquer quelque dédain, les seconds une jalousie croissante, et leurs rapports réciproques ne vont pas sans aigreur.

Mais la réalité s’accentue de plus en plus au profit de l’Allemagne : l’œuvre pangermanique est sa chose propre, et elle parvient à contrôler ainsi tout le progrès de la poussée orientale ; l’Autriche est réduite à la situation d’un simple vorland, chargé de servir d’étape à la pénétration allemande. Non point qu’une part quelconque ne lui ait été assignée dans la tâche commune : c’est la besogne politique qui lui incombe ; c’est-à-dire l’apparence vaine, les soins ingrats, les discussions pénibles et les démêlés avec la Russie. De son côté, l’Allemagne s’occupe de l’aménagement économique et cultural du Levant, c’est-à-dire des choses réelles, quoique ne suscitant point d’ennemis ; des résultats durables et des fondemens solides sur lesquels grandira la pangermanie future, quand sera devenu inutile le paravent austro-hongrois.