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haute ne saurait donc aller au-delà d’une « coordination de faits. » Elle n’est qu’un système de rapports, ou, si l’on le veut encore, elle n’est qu’une « représentation. » La chose en soi, la cause des faits lui échappe. Elle s’égare en les poursuivant. « La substitution nécessaire du relatif à l’absolu, » tel est l’instrument de son progrès, la loi de sa méthode, le terme idéal ou hypothétique de son achèvement. « Dans nos explications positives, même les plus parfaites, nous n’avons nullement la prétention d’exposer les causes génératrices des phénomènes. » Nous n’avons besoin de savoir ni ce que c’est que la force pour faire de la physique, ni, pour faire de la physiologie, de savoir ce que c’est que la vie. On pourrait même prouver par l’histoire que des préoccupations de ce genre, bien loin de favoriser la recherche scientifique, l’ont, au contraire, longtemps entravée. Les anciens disaient, et avec raison, « qu’il n’y a de science que du général ; » nous pouvons dire, nous, « qu’il n’y a de science que du relatif ; » nous devons le dire ; et cela équivaut à dire que la recherche de l’absolu est proprement « anti-scientifique. »

Faut-il d’ailleurs en conclure qu’elle soit vaine ? Je ne le crois pas, et Auguste Comte s’en est plus tard lui-même aperçu. Mais elle est « anti-scientifique ; » il n’appartient pas à la science de s’en occuper ; et la raison en est que la science n’en a pas les moyens. C’est ce qui résulte de la notion même de la science, telle qu’Auguste Comte l’a déterminée. Et, non seulement cette notion n’a rien d’arbitraire, mais elle s’est dégagée de l’enquête à la fois la plus approfondie et la plus étendue que peut-être on ait jamais faite sur la nature, sur les rapports, sur l’enchaînement des sciences particulières entre elles. Ce n’est pas un théologien, ni même un métaphysicien, ce n’est pas un « philosophe ; » c’est un « savant » qui a posé les bornes de la science, ou plutôt qui les a reconnues. Il a fait plus ! Il a montré que le progrès de la science, en général, était étroitement solidaire de la « substitution du relatif à l’absolu. » L’histoire des sciences lui a servi de preuve. Et, encore une fois, il n’a pas pour cela supprimé l’absolu. Il a pu l’essayer, mais il n’y a pas réussi. Il ne l’a essayé qu’en transgressant lui-même, nous l’allons voir, les principes de sa méthode ; et il n’y a pas réussi, parce que l’idée du « relatif » implique nécessairement celle de l’« absolu. » Est-ce d’ailleurs l’ « absolu » qui conditionne le « relatif ? » Est-ce le « relatif » qui nous suggère l’idée de l’ « absolu ? » C’est