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que nous ne les connaissons pas tous, est-ce une raison de conclure que nous n’en connaissons aucun ? et si nous en connaissons un, cesse-t-il pour cela d’être un attribut de l’inconnaissable ? On « démontrerait, » par ce beau raisonnement, que, si nous ne connaissons pas le tout d’une chose, nous n’en connaissons rien, et cela est vrai métaphysiquement ou logiquement, mais cela ne l’est pas, en pratique ou en fait. A vrai dire, l’inconnaissable du positivisme se communique à nous par quelques-unes de ses modalités, comme le « Dieu caché » par quelques-unes de ses manifestations. Enarrant cœli gloriam Dei : l’inconnaissable se prouve en se manifestant dans la catégorie de la relation, j’aurais presque envie de dire : « en y tombant ; » et voilà, grâce à la science elle-même, la porte rouverte non seulement à la métaphysique, mais à la théologie.

Car il importe peu de quelle manière on essaie maintenant de se représenter cet inconnaissable ou même, avec l’agnosticisme, que l’on n’essaie pas de se le représenter du tout ! Ne confondons pas les problèmes. Tout ce que je veux constater ici, c’est que la théorie de l’inconnaissable donne, comment dirai-je ? une base ou un fondement scientifique à la religion. Le dernier terme du « relativisme » est de reconnaître et d’affirmer la nécessité logique de l’ « absolu » qui le conditionne : voilà ce qui est inattendu, et voilà ce qui est important. Une doctrine qui ne s’était proposé rien de plus essentiel que de ruiner l’affirmation de l’absolu, la ramène. Elle se couronne par l’affirmation de tout ce qu’elle avait prétendu renverser. Nous retrouvons Dieu au terme de la tentative la plus consciencieuse et la plus laborieuse que l’on eût entreprise pour essayer de s’en passer. Et par hasard, au cours de ce long effort, la tentative s’est-elle contredite ? la méthode s’est-elle démentie ? Non ! J’ai tâché de prouver qu’au contraire, ni l’une ni l’autre n’avaient cessé d’être conformes à elles-mêmes. C’est Auguste Comte, c’est Herbert Spencer qui ont bien raisonné, ce sont les autres qui ont trahi la doctrine, quand ils ont cessé d’y trouver la satisfaction des préjugés qui les y avait d’abord convertis. Et ils auront beau dire ! Après la reconnaissance de l’inconnaissable c’est encore Auguste Comte qui avait raison quand il a compris que la dernière conclusion du positivisme était l’établissement d’une religion.

A la vérité, cette religion, toile qu’il l’a conçue, n’en est pas une, si, — comme nous le croyons et comme l’a toujours cru