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non-relatif réel, le relatif lui-même devient absolu, et nous accule à la contradiction… Il nous est impossible de nous défaire de la conscience d’une réalité cachée derrière les apparences, et… de cette impossibilité résulte notre indéfectible croyance à cette réalité[1]. » Ce « non-relatif, » cet « absolu, » cette « réalité cachée », c’est ce que nous nommons du nom d’Inconnaissable. Si nous nous contentions, comme la sophistique antique et le subjectivisme pur, de dire de nos connaissances qu’elles sont relatives à nous, nous ne dirions rien, et nous prendrions une tautologie ou une identité, A est A, pour une explication. Si nous n’entendions la relativité que du rapport de nos connaissances et du système lié qu’elles forment entre elles, sans avoir d’ailleurs égard à l’arrière-fond que ces rapports manifestent, nous dirions déjà quelque chose de plus. Mais, dès que nous croyons à l’objectivité de la science, et nous avons vu que nous ne pouvions pas n’y pas croire, nous affirmons l’existence de l’Inconnaissable. Il n’est plus alors question que de savoir ce que c’est que cet Inconnaissable, et si peut-être, la science venant à nous manquer ici, nous n’avons pas cependant quelque autre moyen de l’atteindre.

Je n’examine pas aujourd’hui la question. Mais je ne m’étonne pas qu’un certain positivisme, à la Littré, qui n’est que le faux nom du matérialisme, ait tout fait pour se débarrasser de cet inconnaissable et n’y voie guère qu’un mot sous lequel nous nous déguiserions à nous-mêmes, en fait d’absolu, celui de notre ignorance. Ce « non-relatif » gêne les matérialistes, et ils ne veulent pas de cette « réalité cachée derrière les apparences. » Mais, au contraire, ce que je ne comprends pas, c’est qu’un savant jésuite allemand, le Père Grüber, dans un gros livre qu’il a consacré à Auguste Comte et au Positivisme, se soit acharné à « démontrer, » sans y réussir, que l’inconnaissable d’Herbert Spencer, n’était, ce sont ses mots, qu’une pure « monstruosité. » L’un des argumens dont il se sert est plus étrange encore ! « Qu’est-ce, dit-il, qu’un inconnaissable dont quelques fragmens, de loin en loin, viendraient à notre connaissance ? » En vérité, mon révérend Père, et pourquoi ne serait-ce pas le « Dieu caché » de l’Écriture, ou le « Dieu Inconnu » de saint Paul ? est-ce que nous connaissons tous les attributs de Dieu ? de ce

  1. H. Spencer, Premiers Principes, trad. française, p. 85.