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Alphonse XIII vient d’atteindre l’âge de la majorité, qui est de seize ans pour les rois d’Espagne, et la régence de la reine Marie-Christine a pris fin. L’événement n’a sans doute pas une importance européenne, mais il a pour tout le monde un grand intérêt, à cause de la sympathie qui s’attache au jeune souverain, et du respect mêlé d’admiration que la reine-régente a inspiré à tous ceux qui ont suivi au jour le jour les détails de sa tâche maternelle et politique. Elle-même était bien jeune il y a seize ans. Restée veuve avec deux filles en bas âge, elle était enceinte de son fils, qui est né six mois après la mort d’Alphonse XII. Ce rejeton d’un tronc foudroyé présentait alors l’apparence d’une tige frêle et délicate ; on se demandait s’il vivrait. La reine était étrangère, et, en cette qualité, quelques préventions existaient contre elle. Tout lui semblait contraire. Réussirait-elle à sauver d’abord la vie de son fils, qui avait besoin de tant de ménagemens et de soins, ensuite sa couronne, qui ne paraissait pas alors beaucoup plus solide ? Mais les Espagnols sont généreux et chevaleresques. Le spectacle de cette jeune femme qui se fiait à eux, entourée de deux enfans et en attendant un troisième, n’a pas laissé leur cœur indifférent. Ils ont observé la reine-régente, et ils ont vu bientôt qu’elle était le modèle de toutes les vertus. Ce spectacle les a frappés. Si la reine Marie-Christine n’a pas eu cette popularité que les Espagnols n’accordent qu’à un Espagnol, elle a été bientôt environnée de déférence et de confiance. La confiance allait à elle parce qu’elle observait, de la manière toujours la plus scrupuleuse, et souvent la plus intelligente, les obligations que la Constitution lui imposait. Restée à quelques égards étrangère aux mœurs du pays, elle l’était aussi à ses passions. Tout entière à son devoir, et sans aucune préférence personnelle pour tel ou tel parti, elle est devenue naturellement l’arbitre de leurs disputes, donnant le pouvoir à celui qui était le mieux à même de l’exercer, en attendant qu’un autre le fût devenu à son tour. Cette stricte impartialité était également reconnue et appréciée par les conservateurs et par les libéraux. La reine a eu à traverser des momens difficiles, quelques-uns pénibles et même tragiques : jamais aucun reproche personnel n’a pu lui être adressé, et les Espagnols ont eu l’équité de ne pas la rendre responsable de ce que ni elle, ni personne peut-être, ne pouvait empêcher. Peu à peu, la santé de son fils s’est consolidée. Le trône aussi s’est raffermi. L’armée a renoncé à faire des révolutions. Malgré quelques émeutes regrettables, où le sang a coulé, on peut dire que l’ordre n’a pas été gravement troublé. Si on compare les seize années de la régence de Marie-Christine à celles