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française, quand on voit, en lisant les dépêches et la correspondance de Marlborough[1], à quelles inquiétudes il était en proie. Il appelait en effet à lui avec insistance le Prince Eugène, qui commandait sur la Moselle un corps de 30 000 hommes, ayant en face de lui Berwick chargé de le contenir. Un capitaine hardi, entreprenant, avec des éclairs de génie, comme était Vendôme, aurait dû deviner cette situation, et en tirer parti pour prendre quelque initiative heureuse. Mais il semble, au contraire, qu’il se soit abandonné à un de ces accès de mollesse auxquels il était sujet, et que favorisait chez lui la satisfaction de se trouver dans un campement qui lui plaisait. « Nous sommes ici, écrivait-il à Chamillart, de Braine-l’Alleud, dans un camp abondant en fourrages. Nous pouvons bien y demeurer quelque temps[2]. » Aussi se complaisait-il en projets mal conçus ou chimériques, qu’il proposait au Duc de Bourgogne. Celui-ci, qui ne les approuvait pas, en référait au Roi. Il fallait envoyer un courrier à Versailles, attendre le retour de ce courrier et l’avis du Roi, qui tenait d’autant plus à être informé de tout qu’il connaissait ou croyait connaître ce terrain militaire de la Flandre où sa jeunesse avait brillé dans quelques sièges d’apparat. C’est ainsi que Vendôme proposait de faire opérer à l’armée un mouvement à droite, et d’aller mettre le siège devant Huy, petite place située sur la Meuse, au-dessus de Maëstricht. Le Duc de Bourgogne n’était pas partisan de ce projet, et le Roi, consulté, lui donnait raison, trouvant que la prise d’une place aussi peu importante n’était pas un objectif digne d’une aussi puissante armée. Un peu dépité, Vendôme se rejetait alors sur un autre dessein : c’était de mettre à profit certaines intelligences nouées dans la place pour surprendre Bruxelles et s’en emparer par un coup de main. Le dessein était audacieux et le succès en eût été d’autant plus profitable que Bruxelles était le quartier général de Marlborough. Mais il était peu probable qu’un chef aussi expérimenté se laissât surprendre ainsi, comme jadis Villeroy à Crémone, et l’échec eût été des plus funestes. Le Duc de Bourgogne était trop circonspect pour donner son approbation à une entreprise aussi hasardeuse. « Vous sçavez, écrivait-il à Chamillart, que la confiance de M. de Vendôme le porte à croire facile tout ce qu’il désire. Il me paraît que cecy est du nombre de ces choses, et qu’il n’est aisé que

  1. Coxe. t. II, p. 69, et Murray, the Marlborough Despatches, t. IV, p. 49 et suiv.
  2. Dépôt de la Guerre, 2080. Vendôme & Chamillart, 9 juin 1708.