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La mer ne baigne plus depuis longtemps les murs d’Abbeville. Mais, au commencement du VIIIe siècle encore, la petite ville qui devait devenir la capitale du Ponthieu était entourée par l’eau de tous côtés, et les premiers pêcheurs qui y avaient construit leurs huttes avaient eu soin de les défendre par des digues et des claies. C’était alors le fond de la baie de Somme, et peut-être est-ce là qu’il faut placer l’ancien château fortifié de Phrudis, que Ptolémée mentionne à l’embouchure du fleuve. Il serait pourtant imprudent de trop l’affirmer, car l’histoire ne fournit quelques données exactes sur Abbeville qu’à partir du IXe siècle, et on sait seulement que ses premières fortifications datent de Charlemagne. Abbeville pouvait avoir été dès cette époque une ville forte et un port de refuge, « un hable » comme on disait alors. Cette ville du hable, — Hable-ville, Abbe-ville, — ne tarda pas à prospérer. Vers le milieu du XIIIe siècle, elle était considérée comme un des premiers ports du royaume, entretenait des relations suivies avec toute l’Europe maritime, et était en outre un port de pêche très important. La Somme, qui la traversait, était alors barrée un peu en amont par des moulins.

Tous les navires de l’époque pouvaient venir mouiller devant les quais de la ville, qui a été longtemps, comme le sont restés Nantes et Bordeaux, un grand port de rivière communiquant librement avec la mer. On transbordait les marchandises au pied de l’enceinte dans les bassins du port et on les chargeait sur des « gribanes, » qui les conduisaient à Amiens, presque toujours aidées par la marée, qui remontait à 10 kilomètres, jusqu’à Pont-Remy.

La transformation de l’estuaire de la Somme et les progrès de l’envasement ne permirent bientôt plus aux bateaux d’un certain tonnage de dépasser le port du Crotoy ; et la navigation maritime aurait été tout à fait perdue pour Abbeville sans la construction d’un canal latéral au fleuve, susceptible de recevoir des navires de 400 tonneaux. À la suite d’une série d’inondations, la Somme s’est d’ailleurs complètement atterrie ; on l’a tout à fait abandonnée, et elle est aujourd’hui remplacée par le canal. La baie a été en outre presque artificiellement fermée par le viaduc du chemin de fer, de près de 1 400 mètres, qui la traverse et joint Saint-Valéry à Noyelles ; et Saint-Valéry est devenu en réalité l’avant-port maritime d’Abbeville, qui est réduit au rôle modeste de port de canal.