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dont on renouvelle une donnée qui paraissait usée et de l’art avec lequel on rajeunit une situation vieille comme les rues. Passons sur la longueur des développemens, quoique à vrai dire elle explique assez bien que le spectateur s’impatiente dans sa stalle. Passons sur la platitude du style et sur la pauvreté du dialogue. M. Brieux, pourrait nous objecter qu’un magasin de modes n’est pas le dernier salon où l’on cause, et qu’un homme modiste n’est pas obligé de s’exprimer comme un académicien. Mettons donc sur le compte du réalisme la vulgaire incorrection et la désolante impropriété du langage. Par malheur, c’est dans les endroits où le ton s’élève et où l’auteur parle par la bouche de ses personnages, que l’expression apparaît dans sa médiocrité et son insuffisance. N’insistons même pas sur le côté mélodramatique du dénouement et sur la sentimentalité facile qu’éveille le spectacle d’un couple d’amoureux qui se périt. Ces défauts ne sont pas de ceux qui nous surprennent sous la plume de M. Brieux : ils ne suffiraient pas à différencier sa pièce nouvelle d’avec les précédentes ; mais puisque l’auteur a prétendu nous donner une œuvre de portée sociale, c’en est donc la portée sociale que nous devons surtout examiner.

La pièce se passant dans le milieu de la mode, M. Brieux était bien obligé de peindre ce milieu. Quelques-uns lui ont reproché d’avoir mis à la scène des ouvrières et ont affecté de croire que cela ne convenait pas à la dignité de la Comédie-Française ; d’autres lui en ont fait, au contraire, un mérite et l’en ont félicité comme d’une hardiesse. Il n’y a lieu ni de se scandaliser ni de s’émerveiller. Les petits bourgeois aiment fort que les histoires se passent dans le monde des duchesses, parce qu’ils n’y fréquentent pas ordinairement : il se peut que pour la même raison les abonnés de la Comédie-Française soient curieux de pénétrer dans le monde des modistes et des piqueuses de bottines. Reste à savoir ce qu’on nous en apprend. Nous voyons qu’une des ouvrières envoie des baisers au bijoutier d’en face, que l’atelier tâche de faire passer du velours de coton pour du velours de soie, que le marchand écoule des rossignols à une cliente de province et que, privées de leur jour de sortie, les emballeuses se vengent en empilant brutalement les chapeaux canotiers sur les chapeaux cyclistes. Tous ces détails peuvent avoir été pris sur le vif : j’avoue que l’intérêt m’en échappe. Mais apparemment ce que M. Brieux a voulu nous faire connaître, c’est l’état d’âme des modistes, et ce qu’il y a de pitoyable dans leur sort. Voici de pauvres filles qui tout le jour manient des étoffes précieuses, fabriquent de leurs doigts agiles des objets coûteux, et les posent sur la tête d’aimables perruches qui