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l’infanticide, la société d’aujourd’hui me regarderait comme un des siens, et me donnerait un brevet de parfaite moralité. Ah ! les hypocrites, les cuistres, les mufles, les canailles ! » Mais ce n’est pas du tout de cela qu’il s’agit, et ce jeune phraseur sort de la question. Il est toujours très commode de s’en prendre à autrui de ses propres fautes et de faire le procès à la société qui n’en peut mais. Personne ne l’a forcé à séduire une jeune fille qui ne s’offrait pas à lui, et qu’il savait ne pouvoir épouser. Ç’a été un effet de sa foncière veulerie, et il a glissé à cet acte de médiocre libertinage, comme tout à l’heure il va glisser au suicide. Prendre pour maîtresse une jeune fille qu’on n’a pas l’intention d’épouser, prendre la charge d’une femme et d’un enfant quand on n’a pas les moyens de les nourrir, c’est se conduire en malhonnête homme. Qu’on soit d’ailleurs le fils d’un marquis, d’un marchand de modes ou d’un serrurier, cela n’y fait aucune différence. Ce crime n’est pas celui de la bourgeoisie, mais celui d’un jeune homme sans conscience et sans énergie. Le suicide d’André n’est que le dernier aboutissement de sa lâcheté. Il n’y a aucune conséquence à en tirer au point de vue de la réforme de nos mœurs. C’est un acte isolé.

Ce dénouement n’est ni faux, ni vrai : il est plaqué. C’est un dénouement qu’il a plu à l’auteur de choisir, et auquel on pourrait avec avantage en substituer divers autres. Exemple. Supposons qu’André, malgré toutes les résistances, épouse Marguerite, et repassons quelques années plus tard. Nous aurons sous les yeux ce ménage atroce que font deux êtres d’éducation différente, devenus insupportables l’un à l’autre, et dont l’amour s’est promptement changé en haine. Pour contester ce qu’un pareil dénouement enfermerait de réalité douloureuse, il faudrait n’avoir jamais regardé autour de soi et n’avoir aucune expérience de la vie. Donner ce supplice comme conséquence à la légèreté d’André, c’eût été la conclusion humaine de la pièce. M. Brieux l’a écartée, parce qu’elle montrait la part de vérité qu’il y a dans les objections que fait le bonhomme Logerais à la proposition d’un mariage disproportionné ; mais il ne peut empêcher qu’elle ne se présente à notre esprit. Le dénouement qu’il a préféré est tout arbitraire. Et c’est en ce sens qu’on a eu raison de n’y voir qu’un fait divers. Tout suicide et tout meurtre, répondra l’auteur, est un fait divers. Sans doute, mais il appartient au moraliste de transformer ce fait divers, en remontant dans la chaîne des causes, en montrant qu’il est le résultat de tout un étal de choses, et qu’il révèle un vice social C’est ce que M. Brieux n’a pas su faire. Il a procédé à la manière du chroniqueur qui, s’emparant de l’actualité, spéculant sur une