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bourgeoisie est ce qu’on peut imaginer de plus déclamatoire et de plus puéril. Elle défraie la polémique d’une certaine presse qui fait métier d’exciter à la haine des classes. Mais du moins les auteurs de ces bonimens ne sont pas dupes de leur rhétorique. M. Brieux est sincère. Il est d’une admirable sincérité. Il est d’une sincérité stupéfiante. Ce dessein d’opposer une classe à l’autre fausse la peinture de mœurs et fait perdre leur valeur aux traits d’observation exacte que contient d’ailleurs l’étude d’un caractère toi que celui de Logerais. Mais en outre le raisonnement de M. Brieux pèche par la base : faute d’avoir un peu plus réfléchi, il ne s’est pas aperçu que ses attaques dépassent singulièrement le but qu’il s’était proposé. Car son Logerais vient du peuple : il a commencé par être ouvrier ; il a épousé une ouvrière ; même il a été de la Commune : c’était un pur. Il s’est élevé au-dessus de sa condition. Il a réalisé ce rêve qui est, dans le peuple, celui de tout travailleur, et qui consiste à devenir un bourgeois. Son cas est celui de beaucoup de notables commerçans qui ont débuté par être commis pour finir par être patrons. Dans l’état d’instabilité de la société contemporaine, et par suite de la rapidité avec laquelle les fortunes se font et se défont, il n’y a, à proprement parler, plus de classes parmi nous, et la distinction en est toute superficielle. La bourgeoisie d’aujourd’hui aboutit par toutes ses avenues au peuple. Et les coups que M. Brieux dirige avec tant d’impétuosité contre celle-là retombent aussi bien sur celui-ci.

Laissons d’ailleurs de côté la thèse de M. Brieux. Il reste à savoir comment il s’y est pris pour l’illustrer. Qu’une thèse soit juste ou fausse, elle reçoit une valeur d’art lorsque la démonstration est menée d’une façon rigoureuse. C’est l’essence de ce genre de pièce que tout doit y conduire à un dénouement nécessaire. « Un dénouement est un total mathématique, écrit Dumas fils, le théoricien de la pièce à thèse. Si votre total est faux, toute votre opération est mauvaise. J’ajouterai même qu’il faut toujours commencer sa pièce par le dénouement, c’est-à-dire ne commencer l’œuvre que lorsqu’on a la scène, le mouvement et le mot de la fin. On ne sait bien par où on doit passer que lorsqu’on sait bien où l’on va. » Nous allons à la noyade finale des deux amans. Il s’agit de savoir si cette noyade était la conclusion inévitable des faits tels qu’ils ont été présentés, le crime d’une société mal faite. C’est l’avis du jeune Logerais, et il ne nous l’envoie pas dire : « Eh bien ! elle est admirable, la morale bourgeoise. Oui, ma pauvre Marguerite, si je t’avais abandonnée, toi et ton enfant, si je t’avais réduite à la misère, à (la prostitution ou à