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de petite histoire, écrits en marge de la grande, par la rédaction desquels, celle qui les a écrits se prépare à des observations d’envergure plus large, qui s’exerceront ultérieurement avec une incomparable maestria sur des sujets plus dignes des historiens et y apporteront de précieuses informations.

Pour le moment, nous n’en sommes encore qu’à la chronique. Mais, quand il s’agit de nous initier à des mœurs ignorées ou peu connues, de nous apprendre ce qu’il est advenu de certains personnages qui n’ont paru qu’un jour sur quelque illustre théâtre pour disparaître ensuite, la chronique a aussi son prix. Plus encore que l’Histoire, elle est la clé des âmes.

« Le comte Valérien Zouboff[1], écrit le 3 mars Mme de Liéven, a eu ces jours passés une espèce de coup d’apoplexie ; si on ne l’eût secouru sur-le-champ, c’en était fait de lui ; il est beaucoup mieux à présent. Je crois que sa veuve se serait consolée de sa perte, d’autant plus qu’on parle de divorce entre eux... Hier, j’ai fait ma première sortie en voiture, accompagnée de Costa[2]. Vous eussiez ri de voir sa figure lorsque nous rencontrâmes l’Empereur et qu’il s’arrêta avec nous ; il le fixait tant qu’il pouvait et avec la plus drôle de mine. Un aide de camp a été arrêté hier pour être venu à la parade avec un gilet noir. Le général Rayefsky est de retour de Moscou. On le dit très capot de ce que le chambellan Hitroff lui a enlevé sa promise. »

« 6 mars. — On ne parle en ville que d’un article de la Gazette de Londres, où notre ambassadeur en France est furieusement bafoué. La cause est une balourdise à la vérité, qu’il a commise en faisant insérer dans le bulletin à Paris une note officielle au Premier Consul sur laquelle celui-ci, écrit-on, lui a fait une sortie assez verte devant tous les ministres. Là-dessus, comme vous pensez bien, s’ensuit commentaires sur commentaires. »

« 10 mars. — J’ai encore une mort à vous annoncer, et quelle mort ! la belle Naschokin ; on en a eu la nouvelle hier de Moscou ; elle est décédée après huit jours de maladie seulement. La Gerebzoff la Polonaise[3] va la suivre bientôt, je crois ; elle

  1. Un des célèbres favoris de Catherine.
  2. Constantin, le plus jeune de ses frères.
  3. Sœur des Zouboff. Avait été l’amie de lord Withworth ambassadeur d’Angleterre en Russie sous Paul Ier. Du vivant de ce prince, c’est chez elle que se réunissaient les mécontens et que furent jetées les bases du complot de 1801.