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le grand genre comme vous voyez. La fête était délicieuse ; c’était un goûter à la viennoise du plus joli goût possible. On avait pratiqué un jardin délicieux dans la salle du thé. Tous les appartemens étaient éclairés en transparens ; c’était vraiment une féerie ; l’Empereur et l’Impératrice en étaient. »

« 12 mai. — Je suis encore toute harassée de ma course à Paulowsky, je me suis bien amusée ; j’ai dansé comme une folle, quoiqu’il y eût fort peu de danseuses. Bonsi s’en est donné aussi ; nous avons beaucoup valsé surtout. Les Français ont apporté une nouvelle danse, la Be/noise, qui naturellement est fort à la mode ici.

« Le petit Scherbatoff est parti hier pour Vienne. C’est celui qui, vous savez, eut cette affaire avec le chevalier de Saxe[1] ; il va vider sa querelle avec lui. Le chevalier avait appelé le prince Zouboff en duel pour avoir raison de son renvoi de la Russie après son histoire du temps encore de l’Impératrice défunte. Scherbatoff, auteur de la dispute, apprenant ce cartel se rend en toute diligence à Vienne afin de le prévenir. Ceci prouve du caractère chez un jeune homme tout au plus de vingt-quatre ans… Zouboff l’a échappé belle à Varsovie. Un Polonais lui envoie un défi pour venger sur lui les malheurs de sa patrie ; beaucoup d’autres se joignent à lui. Enfin, ils assiègent la maison du prince ; la populace s’en mêle ; le gouverneur a été obligé, pour mettre à couvert les jours du prince, de le faire partir secrètement la nuit avec une bonne escorte qui l’a conduit jusqu’aux frontières d’Autriche ; il est maintenant à Vienne. »

En ce même mois de mai, la verve de notre petite mariée se voile d’un peu de tristesse. Pour la première fois, elle va connaître le chagrin de se séparer de ce qu’on aime. L’Empereur doit faire une visite au roi de Prusse, à Memel ; M. de Liéven, en sa qualité d’aide de camp, est désigné pour l’accompagner. Il a été décidé qu’en son absence, sa femme s’installerait à Paulowsky

  1. Fils du prince Xavier de Lusace, oncle de Louis XVI. Sa querelle avec Scherbatoff datait des temps de l’émigration (1794). Réfugié alors en Russie, il en avait été chassé à la demande de Valérien Zouboff avant que ce différend eût été vidé. Ce n’est qu’au bout de huit ans qu’il put demander compte à Zouboff de son expulsion dont il le rendait responsable. Mais, soit que, comme on l’a prétendu, Zouboff eût refusé de se battre, soit que Scherbatoff eût revendiqué le droit d’avoir le premier satisfaction c’est avec celui-ci que le chevalier de Saxe dut d’abord se mesurer. L’issue du duel fut fatale au chevalier. Dans une des lettres suivantes, Mme de Liéven raconte qu’il a été tué.