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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/18

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encore une forteresse imprenable, et où l’on raconte que le souverain cache ses trésors.

Ce sont de terribles portes, celles de Golconde, qui ne tournent pour s’ouvrir que sous l’effort combiné de plusieurs hommes. Leurs doubles battans, plaqués aujourd’hui contre les parois, dans l’épaisseur du rempart, sont bardés de pointes de fer encore acérées, longues comme des dagues, — et cette armature formidable était pour écarter les éléphans, qui jadis endommageaient à coups de leurs ivoires les énormes boiseries, pour s’amuser, lorsqu’ils s’engouffraient en troupe dans la ville. Quel air de mesquinerie occidentale prend tout à coup, en pénétrant là, mon petit attelage, malgré ses deux cochers à turban doré, et son coureur, agitant aux flancs des chevaux un long chasse-mouches ! ..,

La première rue qui se présente, au sortir des épaisses murailles, est la seule un peu habitée, par quelques pauvres hères, qui nichent dans des débris de palais et tiennent d’humbles boutiques à l’usage des soldats gardiens.

Ailleurs, tout est silencieux et vide, dans l’enceinte immense. Golconde n’est plus qu’une plaine de cendres, semée de pierres en déroute, d’éboulemens de toutes sortes, et d’où surgissent, comme des dos d’énormes bêtes endormies, les cailloux primitifs, plus résistans que les constructions des hommes, toujours ces mêmes blocs aux flancs ronds et polis, qui jonchent le pays entier et qui, par endroits, s’élèvent en montagne[1].

Les portes de la citadelle, aussi farouches et bardées de fer que celles du rempart d’en bas, donnent accès dans un chaos de granit, où on s’élève tantôt par des chemins à air libre, tantôt par des escaliers obscurs, à travers des forteresses ou des roches vives. Tout cela est stupéfiant d’énormité, même dans l’Inde où tant de choses démesurées n’étonnent plus. Les murailles crénelées, alternant avec les blocs naturels, forment jusqu’en haut des séries de positions inexpugnables. Il y a des citernes, pour conserver l’eau en temps de siège, qui sont des gouffres profonds, creusés en plein roc. Il y a des trous noirs, menant à des souterrains qui descendaient au cœur même de cette montagne travaillée, et débouchaient au loin dans la campagne, pour les sorties de désespoir

  1. La légende indienne sur ces blocs du Nizam est que Dieu, ayant fini de créer le monde, se trouva en présence d’un surcroît de matière non utilisée, et qu’alors il la roula dans ses doigts pour la jeter ici, au hasard, sur la terre.