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dans le livre que nous citions tout à l’heure, n’a dit que quelques mots à peine des rapports du théâtre de Corneille avec le théâtre espagnol. Nous nous garderons surtout de répéter avec Henri Martin qu’au lendemain du Cid, » la France sentit à l’instant qu’elle avait plus que Lope de Vega et que Calderon. » Car d’abord il ne paraît pas qu’en 1636 ou 1637, Calderon fût très connu en France, et puis, sous prétexte de patriotisme, « on ne se dit pas à soi-même de ces choses. » Mais nous reprendrons à nouveau la question, et, suivant à notre tour M. G. Huszär sur le terrain où il l’a placée, nous tâcherons, en faisant sa juste part à l’influence espagnole, de ne pas la disputer à l’originalité du génie de Corneille. Après les raisons « nationales » il s’agit d’en trouver maintenant d’« européennes. »


II

« Les trois élémens de la civilisation du moyen âge, écrit M. G. Huszär, la religion, l’honneur et la galanterie étaient plus vivaces en Espagne que partout ailleurs. Le culte de l’honneur et de la femme, la fidélité, le respect de l’ennemi même avaient trouvé parmi les Espagnols leurs champions les plus enthousiastes ; » et ce sont, en effet, ces trois sentimens, tour à tour ou ensemble, tantôt se fortifiant et s’exaltant l’un l’autre, ou tantôt au contraire s’opposant et se combattant, qui ont inspiré les chefs-d’œuvre du théâtre espagnol. Prenons-en, si l’on veut, pour exemples, en des genres assez différens : Les Prouesses du Cid et Le Médecin de son Honneur ; Aimer sans savoir qui, — le modèle de la Suite du Menteur, — et la Dévotion à la croix. De l’usage ou de l’emploi de ces trois élémens dans le drame ne recherchons pas la première origine littéraire, et ne nous demandons pas non plus si quelques trouvères, — de ceux qui ont chanté en français les héros de la Table Ronde — ou quelques « novellieri, » tels que Sacchetti, par exemple, et Boccace, ne s’étaient pas avisés, longtemps avant qu’il y eût un théâtre espagnol, de ce que les jeux de l’amour et du hasard ont, selon l’occasion, de romanesque ou de tragique. Admettons, — ce qui n’est pas tout à fait démontré, ce que contestent même, et non sans en donner d’assez bonnes raisons, les biographes d’Alexandre Hardy, — admettons que le théâtre français du xvii" siècle, à ses débuts, se soit abondamment inspiré du théâtre espagnol, quoique non